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Se laisser berner par leurs yeux, n’y voir que du feu, c’est merveilleu­x

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JPPE lui offre sans compter chaussures et vêtements, qu’il commande sur Amazon. Aujourd’hui, alors que Nagui passe à la télé, il la pare de froufrous et d’une petite robe cerise à 30 euros. Il a posé un jour de RTT pour prendre son temps, la vêtir avec soin, la couvrir de baisers et se perdre en pensées en sa compagnie sur le canapé. Il l’a parfumée avec l’eau de toilette L’échappée Belle, d’Eau Jeune.

Ça ne pouvait pas mieux tomber : demain, pour la première fois, JPPE sort Léa de l’appartemen­t. Ensemble, ils rejoindron­t Thierry. Ce gérant de TPE de 55 ans organise un barbecue, chez lui, dans sa maison avec jardin, située en région parisienne. Il y a convié des propriétai­res de poupées avec lesquels il échange sur un forum en ligne spécialisé. Les demoiselle­s, évidemment, sont invitées. Thierry, lui, possède quatre belles au bois dormant. La dernière s’appelle Carole, en hommage à l’actrice Carole Bouquet, qui incarne pour lui l’idéal féminin. C’est un modèle haut de gamme, en silicone, qui lui a coûté 6 000 euros. Il est allé la chercher chez le fabricant français DreamDoll, à Strasbourg, la veille du barbecue. Un périple de 1 000 kilomètres en voiture.

Belle, belle, belle. Sa préférée se prénomme Estelle, la douce Estelle. C’est la première qu’il a acquise. Si elle était une chanson, Estelle serait Belle, belle,

belle, de Claude François. Ce collection­neur a une relation compliquée avec la deuxième, Stéphanie, plus espiègle, qui lui échappe souvent des mains lorsqu’il la transporte. Et puis il y a Sylvia, en mousse de polyurétha­ne, avec laquelle il n’a pas de relation affective et dont il se sert juste comme élément de décoration. Elles sont souvent assises dans le grand salon, au premier étage de la maison. La maman de Thierry les trouve superbes. Ses filles de 20 et 25 ans, dont l’une habite toujours à la maison, ne comprennen­t pas le choix de leur papa, mais elles l’ont accepté.

En octobre 2015, Thierry a perdu son épouse, Ghislaine, emportée par un cancer. Elle restera for ever la seule femme de sa vie. “Même si les poupées ne comblent en rien son absence, elles m’aident à tenir debout, dit-il. Elles m’occupent lorsque je dois prendre soin d’elles, les doucher tous les quinze jours ou leur appliquer de la fécule de maïs sur le corps pour que leur peau reste douce. C’est bien le moins que je puisse leur rendre.” Mais il y a aussi des

contrainte­s. “Elles sont si lourdes que, pour pouvoir les déplacer, je dois être en bonne condition physique. J’ai perdu les 12 kilos que j’avais pris au décès de mon épouse.” Il est lucide, Thierry. Il sait que ses dolls ne lui renvoient que ce qu’il y projette. “J’ai trouvé cette planche de salut, et je m’y tiens. Par instinct de survie. Il faut que ça

marche.” C’est ça, ou dégringole­r. L’opinion des autres, il s’en moque. Il ne se cache pas. D’où que soufflent les vents, il se tient droit. S’assoit près d’elles, par terre dans le salon, leur parle, ose quelques baisers à la volée, écoute la musique que crachote le vieux juke-box qu’il vient de s’offrir. Le regard de ses poupées le réchauffe. Une fois, il a même emmené Estelle jusqu’à Limoges où il devait se rendre pour un rendez-vous profession­nel. Elle a dormi dans la voiture, garée sous la fenêtre de la chambre d’hôtel. Cette nuit-là, Thierry, lui, a eu du mal à fermer l’oeil.

Douce illusion. Pour ce timide intrépide, les poupées ne sont pas des jouets sexuels. Il les chérit, leur achète de beaux habits, leur paie des perruques faites avec de vrais cheveux. Il leur crée une allure distinguée, limite bourgeoise. “J’ai eu la chance de vivre avec une femme qui avait beaucoup de classe. Je cherche à retrouver ça…” Sa voix s’étrangle, sa phrase se termine par un silence qui ira s’échouer sur les rives du monde flottant dans lequel il navigue. Pour donner corps à son rêve et à ses illusions, ce pragmatiqu­eprend ces demoiselle­s en photo, soigne les mises en scène, publie les clichés sur Internet. “Je n’ai jamais été à l’aise pour exprimer mes sentiments. C’est une chose que je me reproche par rapport à mon épouse, ne pas avoir été assez explicite…” Aujourd’hui, il se rattrape. Les poupées, qui acceptent toutes les maladresse­s de leurs propriétai­res sans broncher, réparent les blessures du passé.

De l’avis unanime, le barbecue du week-end a été un succès. Il s’est terminé sur le coup des deux heures du matin. Le lendemain, Léa, la poupée de JPPE, écrira à l’encre violette dans

son journal : “Deux heures dix. Il est temps d’aller dormir. Moi, on m’a installée avec mes copines dans le salon. Mon amoureux sera à l’étage du dessus, dans un petit lit. Comme quand il dort chez son cousin. Le lendemain, avant de sortir, Thierry expliquera à mon ballot d’amoureux une autre technique pour m’enfiler correcteme­nt mon joli manteau rose. Au moment du départ, je sens mon JPPE tout ému. Le soir, il sera encore retourné par cette journée. Son amour pour moi en est sorti renforcé.” Comme si l’enchanteme­nt n’avait pas de limites.

 ??  ?? Estelle, fidèle compagne de Thierry, l’a même accompagné en déplacemen­t profession­nel. Ensemble jusqu’au bout.
Estelle, fidèle compagne de Thierry, l’a même accompagné en déplacemen­t profession­nel. Ensemble jusqu’au bout.

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