Le nouveau Phileas Fogg
La voiture à voile conçue par ce Français a déjà rejoint l’Angleterre par les airs. Son inventeur souhaite réaliser un tour du monde en quatrevingts jours, comme le héros de Jules Verne.
Traverser la Manche à la nage, en ski nautique ou en pédalo ? D’autres avaient déjà réalisé ces exploits avant lui. Jérôme Dauffy a donc jugé plus excitant de rejoindre l’Angleterre… en voiture volante ! Le 14 juin dernier, il a rallié par la route, depuis les Champs-Élysées, l’aérodrome d’Ambleteuse, sur la Côte d’Opale.Puis son buggy a pris de l’élan, déployé sa voile de parapente de 38 mètres carrés et quitté le plancher des vaches. Propulsé par son hélice, cet improbable véhicule, baptisé Pégase, a tangué dans les airs durant quelques secondes. Il s’est ensuite stabilisé, et a atteint sa vitesse de croisière, 60 kilomètres à l’heure, avant d’atterrir, comme prévu, sur les falaises anglaises de Douvres. Pour ce baptême de l’air, son concepteur avait pris ses précautions en confiant les manettes de son Pégase volant à un pilote d’essai aguerri.
La Terre vue du ciel. Puis Jérôme Dauffy a repris les commandes de l’étrange engin sur le bon vieux bitume jusqu’au Design Museum de Kensington, à Londres. N’allez pas croire pour autant que cette invention est vouée à prendre la poussière dans un musée. Dans les mois qui viennent, Pégase devrait encore avoir l’occasion de montrer ce qu’il a sous le capot en survolant la savane africaine, dans le ciel kenyan. Ensuite, cette curieuse auto survolera la mythique Route 66 aux ÉtatsUnis. Avec ces audacieuses opérations de com’, Jérôme Dauffy espère bien faire mousser le business de Vaylon, sa start-up.
Derrière ce professeur Tournesol timide se cache en effet un redoutable entrepreneur, qui entrevoit déjà de multiples débouchés pour sa trouvaille. Dans le tourisme, par exemple. “Avec Pégase, on pourra bientôt admirer le Grand Canyon
américain ou la Cappadoce turque depuis le ciel”, promet-il. Beaucoup plus fun, selon lui, qu’en hélicoptère, une heure de vol à bord de Pégase serait aussi deux à trois fois moins chère, aux alentours de 50 euros.
Bon pour le service. Mais les premiers à lorgner sur cette extraordinaire voiture, c’est l’armée. “Pégase est le seul aéronef capable de se poser de manière silencieuse, fanfaronne
Jérôme Dauffy. C’est aussi le meilleur des 4 x 4. Aucune dune, aucun ravin
ne l’arrêtent.” Le véhicule pourrait donc opérer des missions militaires de reconnaissance, d’infiltration ou même de sauvetage. D’ailleurs, la Direction générale de l’armement (DGA) a déjà acquis un prototype pour ses forces spéciales.
Jérôme Dauffy ne regrette pas de s’être lancé dans cette drôle d’aventure après avoir vu la mort de très près. Lors d’une traversée des ÉtatsUnis à vélo, voilà une quinzaine d’années, un poids lourd de 18 tonnes l’avait percuté et envoyé faire un vol plané de 30 mètres. Notre globetrotter s’en était sorti avec sept vertèbres fracturées. “Les médecins se demandent encore comment je n’ai pas fini paralysé”, témoigne
Les initiatives de géants comme Airbus ou Uber donnent de la crédibilité à Pégase
le miraculé. Pour remercier le ciel de l’avoir épargné, Jérôme Dauffy a d’abord donné dans l’humanitaire, en s’engageant comme stagiaire chez Médecins sans frontières, puis en passant quatre mois dans un orphelinat d’oursons en Sibérie. Ce n’est qu’en 2007 qu’il a décidé de concevoir sa voiture volante, avec l’intention d’imiter Phileas Fogg, l’intrépide héros imaginé par Jules Verne. Aujourd’hui, ce baroudeur est toujours déterminé à faire, lui aussi, le tour du monde en quatre-vingts jours à bord de son insolite vaisseau, dans le but de filmer les merveilles de notre planète.
Fou ou précurseur ? Loin d’être une lubie, sa vocation de vidéaste aérien ne date pas d’hier. Peu après avoir quitté les bancs de Telecom SudParis, son diplôme d’ingénieur en poche, Jérôme Dauffy n’a pas hésité, dès 2003, à passer son brevet de pilote d’ULM afin d’effectuer des prises de vues en altitude. “Je réalisais alors des documentaires télé. À cette époque, on ne tournait pas encore avec des drones”, explique le quadra d’origine lyonnaise, fasciné depuis sa tendre enfance par les prodiges des pionniers de l’aviation. Ses débuts d’inventeur furent on ne peut plus laborieux. “Les gens me raccrochaient au nez, se souvientil. On me prenait pour un fou !”
Mais ce fils de diététicienne et de fabricant de vaccins refuse de jeter l’éponge. Et aujourd’hui, après dix années de recherche et de développement, son invention ne fait plus rire personne. Des géants comme Airbus, avec son prototype de voiture volante Pop.Up, ou Uber, qui a publié un livre blanc sur le sujet l’an dernier, donnent encore plus de crédibilité à Pégase. Du coup, sa start-
up Vaylon doit affronter un concurrent, l’américain SkyRunner, qui a déjà levé des fonds pour faire décoller son kart aérien. Pas de panique : “Techniquement, nous avons largement l’avantage, assure Jérôme
Dauffy. Notre véhicule est beaucoup plus léger et sa distance de décollage est deux fois plus courte : 100 mètres contre 200.”
Une campagne de financement participatif est prévue dès septembre sur SmartAngels afin de financer l’industrialisation de l’automobile. À terme, le chef d’entreprise compte commercialiser 150 exemplaires par an, pour un prix avoisinant les 100 000 à 150 000 euros. Pour y parvenir, il reconnaît que ses équipes vont encore travailler d’arrache-pied pour obtenir l’homologation de la machine. “Nous devons encore l’alléger un peu pour qu’elle passe sous la limite des
450 kilos en vol”, explique Jérôme Dauffy. Pour Pégase, le moment est venu de se mettre au régime !