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Ces jeux vidéo vont vous faire aimer l’Histoire

Quand les grandes dates du passé réunissent éditeurs, historiens et gamers.

- CYRIL VALENT ET STEPHANE BARGE

Nous sommes en Europe de l’Est, au e tout début du XV siècle. Des mercenaire­s ont massacré le village d’Henry. Seul survivant du carnage, ce fils de forgeron est bien décidé à se venger. De prime abord, le pitch de Kingdom Come: Deliveranc­e paraît on ne peut plus classique. Ce titre, qui sortira en février 2018, prétend pourtant cultiver sa différence dans sa soif de rigueur historique. “Oubliez les dragons et les vieux magiciens barbus, prévient Tobias Stolz-Zwilling, porte-parole du studio tchèque Warhorse. Notre jeu de rôle médiéval est le plus réaliste jamais créé.” Les développeu­rs ont fait appel à une historienn­e pour vérifier que les quêtes, mais aussi les us et coutumes des personnage­s, étaient conformes à la réalité de l’époque. Cette prof de l’université de Prague a aussi rédigé une mine d’informatio­ns encyclopéd­ique sur l’Europe du Moyen Âge pour aider les joueurs dans leur progressio­n. Elle a aussi recruté un maître d’armes pour décoder de vieux manuscrits consacrés au maniement de l’épée, afin de s’en inspirer dans le jeu.

D’Attila à Napoléon. Alors que la célèbre saga Assassin’s Creed, signée Ubisoft, a dépassé cette année les 100 millions d’exemplaire­s vendus (depuis son premier épisode lancé en 2007), les gamers sont sans cesse invités à voyager dans le passé. Des pillages d’Attila aux plages du débarqueme­nt, en passant par les exploits des centurions romains, les conquêtes d’Alexandre, les alliances féodales ou les grandes batailles napoléonie­nnes, le rayon Histoire de l’industrie vidéoludiq­ue n’a jamais

été aussi fourni. Pourtant, parmi les 1 500 titres recensés par le site spécialisé HistoriaGa­mes, combien justifient leur vocation ?

Trop souvent, l’étiquette “historique” sert de caution culturelle à un scénario violent, ou de prétexte pour enrober un thème faiblard, revisité pour la énième fois.

Prenez Battlefiel­d 1. Sorti fin 2016, ce onzième opus de la série des jeux de tir en vue subjective Battlefiel­d prenait pour cadre la Première Guerre mondiale. À grand renfort de spots de pub, ses développeu­rs américains promettaie­nt de donner vie “avec une intensité inégalée” aux affronteme­nts les plus meurtriers de ce conflit. Meurtriers, certes… mais surtout fantaisist­es ! Comme ces combats urbains censés retracer la reprise d’Amiens par les Américains, inventés de toutes pièces. Quant aux tranchées, elles se retrouvaie­nt réduites à la portion congrue… Et ne cherchez pas de soldats français, ni russes, pourtant deux nationalit­és parmi les plus engagées dans cette bataille face à l’Allemagne, l’éditeur Electronic Arts (EA) ayant tout bonnement fait l’impasse sur elles. Pour tenter d’apaiser la colère de ses clients, EA s’est fendu d’un communiqué rappelant l’importance des poilus dans la Grande Guerre – quel scoop ! – et assurant que la bourde serait corrigée via un contenu télécharge­able… payant. Les créateurs de Battlefiel­d 1 auraient été bien inspirés de suivre les conseils d’experts, comme l’a fait Ubisoft pour son titre hommage intitulé

Soldats inconnus : Mémoires de la Grande Guerre. Leur opus livre de nombreux et précieux détails sur ces hostilités, en alternant résolution d’énigmes et phases d’action, sans jamais tomber dans le gore. Afin d’éviter les bévues, l’éditeur s’est même rapproché d’Alexandre Lafon, conseiller pour l’action pédagogiqu­e à la Mission du centenaire célébrant “la der des der”. Photos et textes ont par ailleurs été puisés dans le documentai­re Apocalypse : La Première Guerre mondiale, diffusé sur France Télévision­s.

Gare aux anachronis­mes ! Faire appel à des armadas de spécialist­es ne garantit pas pour autant la rigueur historique. En témoigne Assassin’s Creed Unity, le best-seller d’Ubisoft qui souhaitait plonger le joueur au coeur de la Révolution française. Pour le concevoir, ses promoteurs ont réuni trois spécialist­es et historiens. Recruté à plein temps dès 2010 pour contrôler les détails de la série, Maxime Durand, chercheur diplômé de l’université de Montréal, a été épaulé pour cet épisode par deux érudits. Le Français Jean-Clément Martin et le Canadien Laurent Turcot étaient chargés respective­ment d’expertiser le scénario et de briefer les développeu­rs sur l’architectu­re des grandes bâtisses et sur la vie quotidienn­e à Paris en 1789. Ceci n’empêche pas le jeu d’être truffé d’anachronis­mes. Par exemple, lorsque le

héros déambule dans les rues de Paris en 1791, la Bastille tient encore debout, alors que l’édifice a été démoli deux ans plus tôt. Dans la rue, les passants entonnent la Marseillai­se, composée un an plus tard par Rouget de Lisle, et brandissen­t le drapeau tricolore apparu seulement en… 1794. “Faire figurer le vrai drapeau révolution­naire rouge et blanc n’aurait parlé qu’aux historiens”, justifie Maxime Durand. “On ne peut pas demander à un jeu vidéo de raconter l’histoire”, renchérit Jean-Clément Martin.

S’il déplore qu’Ubisoft n’ait pas tenu compte de plusieurs de ses réserves, l’historien français estime que sa discipline a tout à gagner de cette déclinaiso­n. “Assassin’s Creed Unity s’est vendu à plus de dix millions d’unités, alors qu’un bouquin sur la Révolution française frôle l’exploit s’il s’écoule à 10 000 exemplaire­s, confie-t-il, pragmatiqu­e. Entre un livre d’histoire savant, mais souvent jugé barbant, et un scénario romancé, c’est toujours le second qui l’emporte dans le coeur du public.” Inventions, déformatio­ns ou stéréotype­s

À LYON, ASSASSIN’S CREED FAIT SON ENTRÉE AU LYCÉE

seraient donc excusables même aux yeux des plus grands experts, s’ils contribuen­t à propulser les joueurs dans le passé. Ces approximat­ions ne semblent pas non plus remettre en question l’intérêt pédagogiqu­e. “Du temps de Barack Obama, susurre un cadre d’Ubisoft, le ministère de l’Éducation américain nous a contactés pour produire des cours d’histoire à partir de notre série Assassin’s Creed.” En France, des enseignant­s se sont, eux aussi, approprié ce nouveau support. Pascal Mériaux, professeur d’histoire au lycée Lamartiniè­re Duchère, à Lyon, s’est servi d’Unity lors de ses cours sur la Révolution française. “Je me suis appuyé sur la remarquabl­e reconstitu­tion du Paris révolution­naire pour illustrer mes cours, explique l’enseignant âgé de 43 ans. Mais l’idée était surtout de faire prendre du recul à mes élèves, d’aiguiser leur esprit critique en pointant les anachronis­mes et en les poussant à une réflexion sur l’instrument­alisation de la violence à des fins narratives, à mon sens un des travers de ce

titre.” Certains font même le pari qu’en dépit de leurs imperfecti­ons, ces jeux incitent les plus curieux à entreprend­re eux-mêmes des recherches, afin d’approfondi­r leurs connaissan­ces sur l’époque.

Effets secondaire­s. Pour preuve, les témoignage­s sur les forums spécialisé­s. “Si je n’avais pas joué à Verdun, je n’aurais jamais dévoré À l’Ouest, rien de nouveau, le roman du vétéran de 14-18 Erich Maria Remarque, qui raconte le conflit à travers les yeux d’un jeune Allemand. Je dois à ce titre ma fascinatio­n pour la Première Guerre mondiale”, confie un gamer sur Reddit. “Mes parties de Crusader Kings, explique un autre, m’ont fait découvrir la complexité de l’époque de Charlemagn­e et poussé à écumer les bibliothèq­ues pour dénicher des livres sur ce sujet.” “Après avoir passé des heures sur Assassin’s Creed II, dans la Florence du XVe siècle, un de mes amis, qui n’avait jusque-là pas le moindre intérêt pour l’histoire, s’est inscrit à la fac pour suivre des cours sur la Renaissanc­e italienne”, s’épate encore un autre. Certains aficionado­s du jeu de conquête Civilizati­on lancent même des débats éthiques : “Doit-on s’abaisser à avoir recours à la bombe atomique pour s’imposer dans le jeu ?” Ou encore : “Comment peut-on oser choisir d’incarner le personnage d’Hitler ?” La réalité historique reste cependant reléguée dans l’ombre du “gameplay”, qui gouverne la mécanique du jeu. Le héros d’Assassin’s Creed se déplaçant souvent au-dessus des toits, une église a été ajoutée à Cuba, théâtre de l’épisode Black Flag, alors qu’elle n’avait pas encore été bâtie au moment où est censée se dérouler l’aventure.

Entre le réalisme historique et le plaisir de jouer, tout est affaire de compromis. “Impossible de concilier les deux”, assure Chris King, ex-développeu­r de Paradox Interactiv­e, à propos de la série Heart of Iron consacrée à la Seconde Guerre mondiale, à laquelle il a contribué. “La stratégie repose sur la logique, ce que l’Histoire n’est pas. Sinon, l’Allemagne aurait retenu les leçons de sa défaite de 1918, au lieu de remettre ça en 1939, en s’exposant sur plusieurs fronts. Si nous avions reproduit toutes les conditions réelles de 39-45, le camp allemand perdrait à chaque fois.” En dépit de quelques concession­s, ce wargame s’avère bien plus réaliste et pointu que Civilizati­on, le jeu de conquête où tout semble possible. Tout de même, on a beau avoir l’esprit fécond, on imagine mal Gandhi appuyer sur le bouton rouge pour rayer de la carte ses adversaire­s en faisant pleuvoir les bombes atomiques… ■

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PREMIER EMPIRE
COSSACKS II : NAPOLEONIC WARS vous transporte à l’époque des campagnes militaires napoléonie­nnes. Même les uniformes des soldats sont réalistes. 1815 Déroute française...
1800 Victoire napoléonie­nne de Marengo 1804 Napoléon sacré Empereur PREMIER EMPIRE COSSACKS II : NAPOLEONIC WARS vous transporte à l’époque des campagnes militaires napoléonie­nnes. Même les uniformes des soldats sont réalistes. 1815 Déroute française...
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Georges Clémenceau
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Napoléon
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Marco Polo publie son Livre des merveilles du monde ASSASSIN’S CREEDII, jeu d’action et d’aventure, vous fait redécouvri­r l’Italie de la Renaissanc­e dans la peau du jeune florentin Ezio Auditore. RENAISSANC­E 1492 Découverte de l’Amérique 1498...
1477 Marco Polo publie son Livre des merveilles du monde ASSASSIN’S CREEDII, jeu d’action et d’aventure, vous fait redécouvri­r l’Italie de la Renaissanc­e dans la peau du jeune florentin Ezio Auditore. RENAISSANC­E 1492 Découverte de l’Amérique 1498...
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Christophe Colomb
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Maximilien de Robespierr­e
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 ??  ?? 509 av. J.-C. La République de Rome est instaurée ANTIQUITÉ TOTAL WAR: ROME II vous plonge dans l’antiquité romaine. Servi par une documentat­ion encyclopéd­ique, vous étendez votre territoire par l’habileté politique ou par la force. 27 av. J.-C....
509 av. J.-C. La République de Rome est instaurée ANTIQUITÉ TOTAL WAR: ROME II vous plonge dans l’antiquité romaine. Servi par une documentat­ion encyclopéd­ique, vous étendez votre territoire par l’habileté politique ou par la force. 27 av. J.-C....
 ??  ?? 1939 Hitler envahit la Pologne 11 février 1945 Accords de Yalta
2E GUERREMOND­IALE HEARTS OF IRON IV rebat les cartes de la Seconde Guerre mondiale en vous proposant de prendre le contrôle d’une des huit nations impliquées dans ce conflit, États-Unis,...
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Golda Meir

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