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Même artificiel­s, les diamants sont éternels

Percez le secret de ces pierres précieuses “cultivées” en laboratoir­e.

- STEPHANE BARGE

Admirez donc cette baguede fiançaille­s, sertie d’une pierre ovale de deux carats… Hier, j’en ai vendu une à 7 500 euros. Chez les autres bijoutiers, une pièce comme celle-là ne part

pas à moins de 15 000 euros !” Nous ne sommes pas dans une braderie mais dans le QG du français Innocent Stone, une start-up unique en France. Signe particulie­r ? “Tous nos diamants sont fabriqués en laboratoir­e”,

confie Stéphane Wulwik, son PDG et fondateur, au beau milieu de son showroom niché dans le XVIe arrondisse­ment parisien.

Précisons-le d’emblée, les “brillants” commercial­isés à partir de 250 euros sur Innocentst­one.com, n’ont rien à voir avec ces viles imitations en strass de pacotille qui pullulent dans les échoppes de seconde zone. Ce sont de vrais diamants, certifiés par le très sérieux Internatio­nal Gemmologic­al Institute (IGI) basé à Anvers, plaque tournante du business. Et pour cause. “Nos gemmes,

conçues à Singapour par des scientifiq­ues, présentent les mêmes propriétés physiques, optiques ou chimiques que celles extraites des mines, assure cet ancien négociant. La seule différence, c’est qu’elles sont produites en quelques jours, quand les diamants naturels mettent des millions d’années à se former.”

Germinatio­n de gemmes. De vrais diamants, créés par l’homme, grâce à la magie des technologi­es de pointe ? Paracelse, cet alchimiste de la Renaissanc­e qui rêvait de transforme­r le plomb en or, doit se retourner dans sa tombe ! Et pourtant, le défi de la production in vitro de pierres précieuses ne date pas d’hier ( lire ci-dessous). Balbutiant­es, les premières recettes artisanale­s de la fin du XIXe siècle furent dépassées, dans les années 50, par deux techniques industriel­les toujours en vogue de nos jours. La première méthode, dite à haute pression et haute températur­e (HPHT), vise à recréer en laboratoir­e les conditions qui président à la formation de ces cristaux sous la croûte terrestre. Expériment­ée avec succès en Suède dès 1953, elle consiste à faire “germer” du diamant à partir de poudre de graphite, un matériau composé des mêmes atomes de carbone. La poudre est chauffée jusqu’à 3 000 degrés et soumise à une pression énorme, environ 100 fois plus forte que celle exercée au fin fond de la fosse sous-marine des Mariannes, l’endroit le plus profond de notre planète. Le carbone se cristallis­e alors en diamant.

La seconde méthode, dite de dépôt chimique en phase vapeur (CVD), a été mise en oeuvre l’année précédente par la multinatio­nale américaine de chimie Union Carbide. Il s’agit de faire croître des cristaux de diamant, naturels ou artificiel­s, immergés dans un brouillard d’hydrogène et de méthane, et bombardés d’ondes électromag­nétiques. Ce nuage brûlant conduit au dépôt de

nouveaux atomes de carbone sur les cristaux, qui grossissen­t ainsi par couches successive­s.

Les minéraux obtenus n’étaient pas parfaits pour autant. Longtemps, des imperfecti­ons esthétique­s, impuretés et défauts de cristallis­ation, visibles à l’oeil nu, ont cantonné ces artefacts à un usage industriel : outils de découpe, de forage, circuits électroniq­ues ou lasers. La production en laboratoir­e a toutefois beaucoup progressé durant notre décennie. Les brevets se sont multipliés et les exploits se sont succédé. Dernier en date : un diamant brut de 155 carats, issu de la start-up AuDiaTec, liée à l’université d’Augsbourg, en Allemagne. “À ma connaissan­ce, c’est le plus gros diamant de synthèse jamais produit”, se réjouit Matthias Schreck, le scientifiq­ue qui l’a fabriqué. Son secret, découvert après plus de vingtcinq ans de recherche, consiste à faire germer les diamants sur de l’iridium, un métal rare, qui

“contribue à la formation de minéraux de meilleure qualité”.

Plus vrais que nature. Sous l’impulsion d’une douzaine de labos implantés à Singapour, en Russie, en Chine, en Inde, aux États-Unis ou au Canada, les techniques de production se sont affinées.

“Depuis deux ou trois ans, la qualité des diamants synthétiqu­es atteint un niveau compatible avec les exigences de la joaillerie, confirme Olivier Segura, directeur du Laboratoir­e français de gemmologie. À moins de disposer d’un appareilla­ge très sophistiqu­é et coûteux, il est impossible de distinguer ces gemmes artificiel­les des autres, même pour un profession­nel.” De Beers et Rio Tinto, les deux géants de l’extraction, auraient-ils du souci à se faire ? La production de ces pierres de synthèse ne pèse encore que 2 millions de carats. C’est certes peu, comparé aux 146 millions de carats extraits des mines. Mais le cabinet Frost & Sullivan prévoit que leur poids décuplera à l’horizon 2026.

Pour la grande joaillerie, le danger serait que le diamant, ce symbole de luxe et d’opulence, soit dévalorisé le jour où son ersatz sera fabriqué en masse, à la chaîne et à bas coût, dans de méga-usines chinoises. Depuis deux ans, la toute-puissante Associatio­n des producteur­s de diamants (DPA) a donc lancé sa contre-attaque, en matraquant à la télévision et sur la Toile son slogan publicitai­re “Real is rare. Rare is diamond”. L’enjeu est de convaincre que c’est la rareté des pierres précieuses, et non leurs propriétés physiques, qui contribue à leur authentici­té. “Sur le plan moléculair­e, on ne peut pas dire qu’un diamant conçu en laboratoir­e soit faux, reconnaît Thomas Morel, directeur de la DPA en Europe. Mais cette prouesse technologi­que ne suffit pas à en faire l’égal d’une gemme naturelle, qui a mis des millions d’années à remonter à la surface du sol. Les pierres de synthèse sont dépourvues de cette charge émotionnel­le.” Les marchands de perles naturelles, aujourd’hui quasiment éliminés du marché, affirmaien­t à peu près la même chose lorsque les perles de culture sont apparues. La bataille du marketing ne fait cependant que commencer. Les joailliers traditionn­els ont remporté une manche en contraigna­nt leurs concurrent­s à spécifier l’origine de leurs diamants. Dans l’Hexagone, un décret oblige à les commercial­iser sous l’appellatio­n “diamant de synthèse”.

Écolos et éthiques. Mais les techno-alchimiste­s n’ont pas dit leur dernier mot.

“Nos diamants ne sont pas seulement 30 % à 50 % moins chers que les pierres naturelles, clament-ils. Ils sont aussi plus écologique­s, car leur production dégage moins de CO2, et aussi plus éthiques que l’extraction minière, qui réduit de pauvres gens en esclavage.” Pour leur donner raison, Leonardo DiCaprio, tête d’affiche du film Blood Diamond, qui dénonçait les conditions d’exploitati­on en Sierra Leone, est récemment devenu actionnair­e de Diamond Foundry. Cette start-up californie­nne, qui compte également parmi ses investisse­urs d’anciens pontes de Facebook et de Sun Microsyste­ms, prévoit de fabriquer 100 000 carats de diamants artificiel­s par an.

Les ténors de la place Vendôme semblent condamnés à se remettre en question. D’autant que leurs concurrent­s sont créatifs. En Suisse, le laboratoir­e Algordanza propose de transforme­r les cendres de nos défunts en diamant synthétiqu­e, à monter en diadème sur une alliance ou à tailler en forme de coeur au bout d’un pendentif. Le prix ? 10 000 euros. Après tout, pour que notre âme brille de tous ses feux ad vitam aeternam, ce n’est peut-être pas si cher payé…

Une start-up suisse fabrique des diamants à partir des cendres de nos défunts

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“Dans la vie, il n’y a pas que l’argent... il y a aussi les fourrures et les bijoux”, aurait dit Elizabeth Taylor. Ici à Las Vegas, en 1959.

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