Quand David Abiker découvre que l’aventure est encore possible grâce au livre audio.
En partant en vacances, un collègue me dit : “Et surtout, tu déconnectes !” “Évidemment”, réponds-je en quittant le bureau, déjà équipé de ma doudoune et de mes chaussures de randonnée. Sitôt arrivé à la montagne, je pars en promenade avec le chien.
Une fois arrivé au sommet, je respire et me dis : “Ça y est, tu as déconnecté.” Sauf qu’au bout d’un kilomètre de marche, ma main et mon avant-bras me picotent. Le manque de connexion me gagne. Tel un junkie, je dégaine mon smartphone et photographie les cimes neigeuses. Content du cliché – comprenez, content de MOI –, je le poste illico sur Instagram, assorti de cette légende : “Qu’il est bon de déconnecter au sommet.” Comment revendiquer la solitude et la déconnexion, tout en prenant à témoin ses abonnés sur Instagram ? Je me console de cette contradiction en me disant que nous sommes quelques millions à souffrir de ce mal étrange.
L’appel de la connexion. Je n’ai donc pas réussi à déconnecter, certes, mais je me suis reconnecté à autre chose qu’aux alertes et messages débiles d’inconnus sur Messenger. Tandis que mon fidèle compagnon à quatre pattes me précède sur les chemins, je ressens l’appel de la forêt, ce silence, ces arbres bienveillants, ces montagnes spectaculaires, et ce chien qui, peu à peu, retourne à l’état sauvage.
Tout en me prenant pour un trappeur dans le Grand Nord, me vient cette idée d’écouter des récits de voyage : L’appel de la forêt de Jack London, bien sûr, mais aussi Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson (lu par lui), ou encore Voyage avec un âne dans les Cévennes, de Robert Louis Stevenson. L’appel de la forêt a sonné sur mon smartphone en quelque sorte.
Je télécharge les fichiers sur le site Audible.fr, je lance la lecture, et me voilà immergé, grâce à la littérature, dans un univers d’aventures et de pistes enneigées. Boire une vodka avec Sylvain Tesson sur le lac Baïkal gelé, prendre place dans le traîneau tiré par Buck le chien pour me ruer vers l’or, traverser les Cévennes en compagnie de l’auteur de L’île au Trésor libèrent dans mes écouteurs cette impression de vivre, au milieu des sapins, des instants extraordinaires. Grâce à mon smartphone. La déconnexion grâce à la connexion !
La possibilité d’une aventure. Il y a les vacances qui vous reposent et celles qui vous transforment. J’aurais pu passer des heures à skier, à faire du bobsleigh, du parapente ou de l’alpinisme qu’elles n’auraient pas compté dans ma mémoire sans ces récits de voyage à 19,90 euros les sept heures de lecture. Leurs auteurs et leurs lecteurs m’ont emmené au bout du monde, alors que je réglais gentiment mes pas sur ceux de mon chien qui se prenait, lui, pour un loup. Le livre audio d’aventures, dans les bois, dans la neige, c’est pas idiot pour se persuader que l’aventure est encore possible. Même dans un monde entièrement couvert par le Wifi. Dans le téléphérique du retour, je n’ai toujours pas résolu la contradiction entre connexion et déconnexion, mais je m’en fous. Je rouvre Instagram et y publie la photo du chien au pied d’un sapin, accompagnée de cette citation de l’aventurier voyageur Sylvain Tesson. Elle est tirée du récit de ses six mois passés dans les forêts de Sibérie. “Le froid, le silence et la solitude sont des états qui se négocieront demain plus chers que l’or.”* Sacré Sylvain ! J’ai l’impression d’avoir passé mes vacances avec lui, dans ses pas, dans sa cabane en Sibérie. Tout cela grâce à cette technologie dont il écrit tant de mal, mais qui m’a permis de l’écouter avec tant de plaisir. ■
*Dans les forêts de Sibérie, de Sylvain Tesson, Éditions Gallimard, collection Blanche, 2011, 270 pages.