WeChat l’appli à tout faire
Un milliard de Chinois ne peuvent plus s’en passer. WeChat a révolutionné leur vie quotidienne. Plus que jamais sous haute surveillance.
Madame Liu tient un stand de fruits dans un grand marché situé au coeur de Pékin. Viennent s’y ravitailler des restaurateurs et de nombreux clients issus de la classe moyenne. Au moment de payer leur panier, tous s’adonnent à un surprenant rituel. Ces amateurs de mangues juteuses et de papayes généreuses scannent d’abord avec leur smartphone un gros QR Code positionné en tête de gondole. Ainsi connectés au compte WeChat Pay de Madame Liu, ils saisissent le montant des courses communiqué par la vendeuse. Puis ils appuient sur la touche “envoi”. Leur portefeuille électronique est immédiatement débité, celui de la commerçante crédité. À Pékin, ça se passe comme ça depuis que le paiement digital a remplacé l’argent liquide et les virements bancaires. “Avec ce système, je n’ai même plus besoin de tenir une caisse et ma comptabilité se fait toute seule”, se réjouit la dynamique Madame Liu. Grâce au temps gagné avec le paiement mobile, elle peut également servir davantage de clients.
Mieux, cette technologie lui a permis d’ouvrir une petite boutique en ligne gérée par son mari à la retraite – certains clients préférant ne pas se déplacer, afin d’éviter les bouchons légendaires de la capitale chinoise. Elle y propose les invendus de la journée et a déjà fidélisé une centaine de clients. À chaque commande, elle envoie un coursier livrer les marchandises après réception du paiement virtuel. Elle peut ainsi rayonner sur tout le centre de Pékin, une zone grande comme Paris intra-muros. Comme Madame Liu, ils seraient aujourd’hui plus de 10 millions de vendeurs, selon des chiffres officiels, à avoir ouvert un compte professionnel sur cette drôle d’application mobile.
L’OS du quotidien. Alors qu’il n’était, au départ, qu’une simple messagerie instantanée pour smartphones, WeChat est devenu le pivot autour duquel s’organise le quotidien de plus d’un milliard de Chinois. Plus de la moitié de ses utilisateurs ne se contentent pas d’y tchater (38 milliards de messages par jour), mais fréquentent aussi sa plateforme marchande – ils étaient 300 millions en 2016. Trouver un médecin proche de chez soi et prendre rendez-vous, réserver un VTC ou même un billet d’avion, communiquer directement avec la police, dégoter une nounou… tout est possible à travers une seule et unique interface. Grâce à une nouvelle fonctionnalité utilisant la géolocalisation, l’utilisateur peut avoir accès à un “journal” de services actualisé en temps réel dans un rayon d’un kilomètre : cours de danse qui débute, coiffeurs disponibles dans la minute, teintureries encore ouvertes… “En sept ans, WeChat est devenu l’OS du quotidien”, résume Shaun Rein, fondateur de l’agence de conseil China Market Research Group. Lancée en 2011 par le géant Tencent, opérateur de jeux vidéo et instigateur dans les années 90 de QQ, une messagerie instantanée en ligne sur PC, l’appli a même obtenu l’autorisation de devenir la première banque en ligne.“Dans les années à venir, le gouvernement pourrait sous-traiter à Tencent un maximum de services
publics”, pronostique Shaun Rein. On peut d’ailleurs déjà payer sur WeChat ses factures de gaz, d’eau et d’électricité. Pourquoi pas imaginer, demain, y enregistrer ses enfants à l’école ou y consulter son dossier médical ?
Le jeu de la censure. Chez WeChat, on envisage aussi de mettre en place une carte d’identité virtuelle. Si les premiers essais – actuellement en cours dans la province du Guangdong, dans le sud du pays – étaient concluants, le gouvernement pourrait décider de la rendre obligatoire. L’occasion, pour Tencent, de se constituer une jolie banque de données biométriques de la population chinoise. Mais comment assurer la protection des usagers alors que l’entreprise cultive des liens de plus en plus étroits avec le gouvernement ? En Chine, le débat émerge à peine ; il est pourtant bien réel. Début janvier, le très influent patron de Geely, l’un des plus importants constructeurs d’automobiles du pays, dénonçait publiquement le manque de transparence de WeChat sur l’utilisation des données personnelles. Tencent avait répondu que leur entreprise suivait la loi. Et c’est bien là le problème, puisque cette dernière exige que toutes les conversations soient surveillées ! Toute personne à l’origine d’un groupe de discussion (jusqu’à 500 participants) sur WeChat est légalement responsable de son contenu et peut recevoir la visite de la police si l’État estime que sa teneur“déstabilise la paix sociale”. Tout message contenant “Tibet” ou “Tian’anmen” est d’ailleurs supprimé sans que l’expéditeur en soit informé. Tout comme ceux faisant allusion à Winnie l’Ourson, surnom satirique donné au président Xi Jinping.
“J’ai conscience que WeChat sait tout ce que je fais, mais je ne peux pas revenir en arrière”, conclut Madame Liu, entre fatalisme et résignation. Et avec elle une population prête à sacrifier une liberté qu’elle n’a pas pour des services lui simplifiant la vie. Qui aurait envie de retourner au Moyen Âge ? ■