Douces utopies.
Ce n’est qu’un rêve un peu fou / Un voyage irréel / Dans les nuages en haut du ciel / Nous voguerons vers le soleil / Pour vivre un amour éternel / Oui, vivre avec vous / Ce rêve un peu fou…” Marie Ruggeri, plus connue sous le nom de Mary Christy, troisième au concours Eurovision de 1976, enchante petits et grands par cette adaptation de la chanson phare
(1) du 12e long-métrage d’animation de Walt Disney. Sorti en 1947, Fun and Fancy Free (Coquin de printemps, chez nous) narre les aventures d’un petit ours de cirque qui ne goûte guère sa vie en cage. Quand Bongo parvient à s’échapper, c’est pour se réfugier dans une forêt. Mais ses gestes gourds l’empêchent d’attraper le moindre poisson pour remplir son ventre vide. Une maladresse qu’une charmante oursonne ne manque pas de moquer. Une idylle est née. Allongés au beau milieu d’une clairière, les voilà collés-serrés, abandonnés à une douce rêverie, bercés par la mélopée enchanteresse de Marie. Jusqu’à ce que l’extase des tourtereaux ne soit troublée par un mâle à gros poil, bien mal embouché. À Bongo de vaincre l’importun pour espérer conserver les faveurs de Lulubelle et couler des jours heureux. Nous sommes Bongo. Face aux innombrables défis de la prochaine décennie, on doute et on s’inquiète. Saurons-nous les relever ? Changement climatique, crise migratoire, chômage de masse, problématique énergétique, lutte contre le radicalisme… Mais quand tout va mal, il faut savoir optimisme garder. C’est le sens de notre dossier prospectif (lire p. 26) où, une fois n’est pas coutume, des illustrateurs livrent le fruit de leur imagination pour esquisser les contours du monde en 2028. Et le quotidien, l’alimentation et l’amour, à l’heure du tout-technologique ? Ce sont les prospectivistes qui en parlent le mieux.
Lendemains incertains
Bien sûr, il ne s’agit pas de tomber dans une béatitude aveugle. Difficile de méconnaître la réalité d’un monde où 82 % de la richesse totale finissent dans les poches d’un petit pourcent de l’humanité. L’extrême pauvreté a été divisée par deux en vingt ans. Mais une couturière fabriquant au Bangladesh des vêtements destinés à l’exportation touche environ 730 euros par an, quand le président de H&M, Stefan Persson, récolte dans le même temps 658 millions d’euros de dividendes (2). Il ne s’agit pas non plus d’ignorer que la technologie nous pousse vers des lendemains incertains. Allongement inextinguible de la durée de vie, disparition du travail (du moins tel qu’on l’entend aujourd’hui) et pénurie de matières premières conduisent certains à prôner une extinction volontaire de l’humanité (3). Quand d’autres – comme Jeff Bezos, l’homme le plus riche du monde – regardent les étoiles en rêvant de les coloniser une à une. Et il en faudra des bébés d’hommes pour courir l’espace à la recherche d’une planète aussi accueillante que la nôtre. Utopique dessein ?
Croire à l’impossible
Gardons les pieds sur terre, même avec la tête dans le cosmos, comme Stephen Hawking. Bien que perché par profession, l’astrophysicien n’a jamais perdu sa bienveillance, ni sa vigilance ( lire p. 22). À la manière de Gargantua, qui alertait son fils Pantagruel : “La sagesse n’entre point en âme malveillante et science sans conscience n’est (4) que ruine de l’âme.” Rien n’est écrit à l’avance. L’avenir réserve des surprises. Regardez Hawking dans un épisode du dessin animé Les Simpson donner la réplique à Homer : “Ta théorie d’un univers en forme de donut est intrigante, je serai peut-être obligé de te la piquer.” Une preuve que légèreté et sérieux ne sont pas toujours incompatibles. Nous avons gardé dans ce numéro la force de son sourire pour illustrer une utopie, la sienne : celle de tenir le coup malgré une maladie diagnostiquée lorsqu’il avait 21 ans et qui ne lui laissait, selon les spécialistes, que deux ans à vivre. À l’aube de sa 77e année, il a tiré sa révérence après avoir embrassé le plus grand projet de l’Homme, celui de comprendre l’Univers dans sa globalité. Et de nous le transmettre sans la parole, car il en était privé. Ça ne l’a pas empêché de se marier et d’avoir trois enfants. Alors, nous autres, soyons réalistes, exigeons l’impossible. Faisons, comme lui, des rêves un peu fous.
(1) À écouter sur bit.do/ebTXY. (2) Rapport annuel d’Oxfam ( bit.do/ebTX9). (3) Le groupe écologiste VHEMT (Mouvement pour l’extinction volontaire de l’humanité, en français) appelle à cesser la reproduction humaine pour éviter la détérioration de l’environnement ( bit.do/ebTYw). (4) In Pantagruel, de Rabelais (1532).