La question qui fâche
Mes données m’appartiennent-elles ?
Aujourd’hui, nos données personnelles sont dans la nature, appropriées et revendues par les grands acteurs du numérique. Face à cette situation inique, les sociaux-démocrates inventent des droits et obligations, les socialistes proposent des schémas de taxe et redistribution, les nationalistes imaginent une souveraineté numérique... Il est important que les libéraux fassent aussi entendre leur voix en plaidant pour la propriété privée et la rémunération. Proudhon considérait la propriété comme ‘la plus grande force révolutionnaire qui existe’, en ce qu’elle confère à l’individu la souveraineté sur son domaine propre. Il n’y a pas de maîtrise sans possession. Ce droit fondamental doit s’étendre aux données, prélude d’une véritable propriété de soi sur soi.
L’idée d’établir la propriété de chacun sur ses données personnelles est une fausse bonne idée. Première idée fausse : cela poserait un problème aux géants du Web. C’est loin d’être certain. Une fois notre propriété établie, une clause des contrats qu’ils nous feront signer nous la fera céder pour bénéficier de services. Et pour eux, ce sera open bar. Autre idée fausse : nous serions assis sur un trésor. Le fait que les géants du Net tirent une manne considérable de nos données massivement, ne veut pas dire qu’elles ont une valeur individuellement et qu’ils sont prêts à payer pour ces données en réduisant leurs profits. Ne rêvez pas : personne ne vous paiera une fortune pour dire que la soupe était bonne ou le lit un peu dur.
Cette approche ‘patrimoniale’ rompt avec nos convictions humanistes et personnalistes, dans lesquelles le droit de la protection est un droit fondamental, faisant écho à l’essence même de la dignité humaine : naturellement, ce droit n’est pas un droit marchand. Cette approche d’indisponibilité des données est un actif philosophique qu’il ne faut pas abandonner. Une fois que l’on a abandonné la propriété, on ne dispose plus de ses droits. J’ajoute qu’adopter une telle approche me semble à contre-cycle, voire démodée, au moment où l’on abandonne la propriété pour l’usage. C’est sur l’usage qu’il faut se polariser puisque les individus sont demandeurs de plus de maîtrise.
La vie privée étant toujours enchâssée dans la vie sociale, les données personnelles ne peuvent être assimilées à des ‘propriétés privées’, ni même être réduites à des ‘données privées’. Ce sont toujours des données ‘citoyennes’ et nous disposons, à ce titre, irréfragablement d’un droit à décider collectivement des conditions de leur utilisation. Nos usages numériques n’expriment pas une volonté d’exploitation ou de propriété sur ce monde; ils expriment d’abord (via les services connectés) la volonté du lien, d’un rapport au monde et aux autres, et ce sont ces liens qu’il importe de défendre.