98 David Abiker.
Quand un “drone” d’emmerdeur perturbe les vacances estivales de
Je contemplais le massif du Luberon lorsque j’ai été attaqué. C’était à la fin d’un aprèsmidi tranquille, à l’heure où les collines autour de Gordes se couvrent d’or. La veille de mon retour de vacances.
Perdu dans mes pensées, je savoure l’instant et dresse le bilan de ce que j’ai vu, de mes yeux vu, durant ces derniers jours. Le triomphe du vélo électrique en montagne, la démocratisation du tatouage, l’impossibilité, désormais, de se déplacer sans Waze, les maillots de bain à motif camouflage, les flamands roses pour se baigner. Tout à ces images stockées dans la mémoire de mes vacances, je déguste un Mattei (le Martini corse à base de quinquina) quand je crois d’abord entendre un moustique. Nouvelle race de raseur. Très vite, je comprends que ce bourdonnement est plus puissant que celui de l’insecte, quoique plus lointain. Je lève les yeux et pige que mon transat, mon Spritz, ma calvitie, la terrasse et la piscine des amis chez lesquels je suis incrusté depuis une semaine (Isabelle, Régis, merci pour ce moment !) sont survolés par un drone. Non pas un de ceux qui servent à faire la guerre, à mener des attaques terroristes, à prévenir les incendies, ni à repérer des randonneurs égarés en montagne ou des migrants menacés de noyade en Méditerranée. Non. Un de ces engins de loisir, piloté par un voyeur. Un drone inutile, donc.
Une nouvelle race d’emmerdeur est née dans le sillage de cette technologie invasive et diabolique. Digne successeur de celui qui tond sa pelouse le dimanche, le pilote de drone en vacances s’avère, une fois sur deux, un sansgêne qui, sous prétexte de se prendre pour Yann Arthus-Bertrand, vient sonoriser le ciel avec l’horrible zézaiement de sa machine. À l’heure où tout ne devrait être qu’ordre et beauté, Spritz, calme et apéro, le drone est à l’horizon ce que le Jet-Ski est à la mer. Un cheveu sur la soupe, donc.
Et qu’on ne vienne pas me parler de modélisme. Ses mordus ont la passion de la machine, de l’aviation, ils apprécient de bricoler leur petit coucou et se prennent pour “Pappy” Boyington ou pour Saint-Exupéry. Les moines de l’abbaye de Sénanque ne s’y sont pas trompés, eux, qui ont placé un panneau “Interdit aux drones” dans leur champ de lavande afin d’avoir la paix.
Pour défendre ces engins, on m’objectera l’amour de la photo… Hélas, combien de curieux indélicats et bruyants dissimulés derrière de vrais photographes pros ou amateurs ?
Intestin à pixels. En vérité, à quoi servent ces oiseaux de mateurs, sinon à reluquer, à zoomer, à zieuter et à poursuivre le remplacement du regard humain par l’objectif vorace et inculte de la machine devenue un intestin à pixels ? Partout, sur les plages, dans les villes, le long des chemins de randonnée, au-dessus des clochers et des jardins, j’ai vu ces appareils électroniques rencontrer le paysage avant que l’homme ne le voie. Comme s’il fallait stocker les images plutôt qu’observer, contempler, admirer. Les drones n’augmentent pas l’oeil, ils le transforment en tube digestif.
Tandis que j’imagine un spray antidrones comme il en existe contre les moustiques, que j’invente la première DCA dédiée à ces bestioles, que j’envisage avec gourmandise un “dronicide” digne de la Bataille d’Angleterre, me reviennent les premières strophes d’un poème* froid et désespéré de Baudelaire, qu’on croirait écrit pour les drones.
Contemple-les, mon âme ; ils sont vraiment affreux !
Pareils aux mannequins, vaguement ridicules ;
Terribles, singuliers comme les somnambules,
Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux.
Alors, à court d’inspiration, je fixe ce stupide bourdon, me lève, me retourne et baisse mon bermuda pour qu’à jamais, mon cul imprime l’oeil de l’intrus et la mémoire de son propriétaire, dont je suppose qu’il est encore un de ces pilotes qui ont raté l’avion. ■
* Les aveugles, dans Les fleurs du mal.