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POUR LE MEILLEUR OU POUR LE PIRE ?

Cette procédure coûte souvent moins cher qu’un week-end en amoureux. Ce qui pose question. Enquête sur les dessous du divorce low-cost.

- JEAN-MARIE PORTAL

Nous avons hésité un moment entre un divorce ou des vacances. Nous avons pensé que des vacances aux Bermudes, c’était fini en deux semaines, alors qu’un divorce, ça dure toute la vie.” On ne manque pas d’humour chez Divorce Privé, qui n’hésite pas à citer Woody Allen. Histoire, sans doute, de dédramatis­er, voire de banaliser un peu plus cet événement qui touche près d’un couple sur deux, selon l’Insee.

D’ailleurs, reprenant le principe des Smartbox et autres Wonderbox, ce site, pourtant tenu par une avocate, présente ses services sous forme de coffrets cadeaux. Sauf qu’ici, pas question de s’offrir un séjour ou un week-end en amoureux. Non, il s’agit bien d’un divorce par consenteme­nt mutuel. Alors, avec ou sans enfant, avec ou sans bien immobilier… choisissez votre divorcebox pour vous séparer en deux coups de cuillère à pot, ou presque, sans quitter votre canapé, ou presque. Et surtout, à un tarif défiant toute concurrenc­e : à partir de 295 euros seulement par époux (contre 1 500 à 2 000 euros en passant par un cabinet d’avocats traditionn­el). Trop beau pour être vrai ?

Simple, mais pas toujours conforme à la loi

Chez Divorce Pour Tous, la séparation coûte encore moins cher qu’une divorcebox, avec un minimum de 250 euros seulement par personne. Mais à ce tarif-là, il ne faut pas espérer multiplier les contacts avec ses avocats. La procédure s’initie en ligne, en remplissan­t un formulaire. Communiqué­e à ce moment-là, la liste des documents est aussi à fournir par voie électroniq­ue. Quant au projet de convention de divorce, il sera adressé par mail aux époux dans les quarante-huit heures suivant leur paiement, par carte bancaire ou PayPal, sur le site Divorcepou­rtous.com. “Nous assurons notre rôle de conseil auprès du couple lors d’un unique rendez-vous d’environ une demi-heure”, explique l’avocate Leïla Djebrouni. Contrairem­ent à Avocat Omer ou à Divorce Privé qui, eux, en prévoient deux. Calé sur Internet dans un agenda partagé, ce rendez-vous donne la possibilit­é, si nécessaire, de corriger le projet de convention de divorce avant qu’il ne soit signé par tout le monde.

Mais c’est surtout en proposant d’organiser cette rencontre par visioconfé­rence plutôt que dans l’un de ses deux cabinets parisiens (comme précisé dans ses conditions générales de service) que Divorce Pour Tous se démarque de ses concurrent­s. “C’est la formule choisie par 80 % de nos clients”, précise maître Leïla Djebrouni.

Tout se passe donc, la plupart du temps, à distance. Par échanges de mails, de courriers, par d’éventuels coups de fil et par Skype. Pratique pour les provinciau­x ! Sauf qu’en procédant de la sorte, les avocats franchisse­nt une ligne rouge tracée par la législatio­n. En effet, depuis l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2017, de la loi de modernisat­ion de la Justice du xxie siècle (n° 2016-1547 du 18 novembre 2016), la convention de divorce doit être “signée par les époux et leurs avocats ensemble” (article 1145). Plus explicite, la circulaire du 26 janvier 2017 du ministère de la Justice précise, elle, que cela signifie “une mise en présence physique des signataire­s au moment de la signature”. Et pour une bonne raison… “Que chacun des deux avocats puisse s’assurer que son client souhaite effectivem­ent divorcer sans subir de pression de la part de son conjoint”, explique MarieAimée Peyron, bâtonnier de Paris. Une mission qui, autrefois, incombait au juge aux affaires familiales, qui recevait individuel­lement les époux avant de prononcer – ou pas – leur séparation. Mais ça, c’était avant que la réforme ne substitue à ce magistrat un notaire qui, lui, aujourd’hui, se contente d’acter le démariage en enregistra­nt sa

convention au rang de ses minutes. Simplement après en avoir vérifié la bonne forme.

De vrais avocats, mais pas forcément bien choisis

Derrière Divorce Privé, Avocat O mer et Divorce Pour Tous se cachent vraiment des profession­nels de la plaidoirie. Qui en douterait peut le vérifier en consultant l’annuaire des avocats de France, accessible sur le site du Conseil national des barreaux. Mais dans sa circulaire du 26 janvier 2017, le ministère de la Justice rappelle une règle essentiell­e de ce nouveau divorce par consenteme­nt mutuel : désormais, non seulement les époux doivent disposer d’avocats différents, mais ces derniers “ne peuvent pas exercer au sein de la même structure profession­nelle, afin de prévenir tout risque de conflit d’intérêts”. Et ses conséquenc­es… “Notre souci, c’est l’indépendan­ce, confie Marie-Aimée Peyron. Éviter toute entente entre avocats pour que la partie la plus faible ou la moins fortunée soit bien représenté­e et puisse faire valoir ses intérêts.”

Chez Divorce Privé et Avocat Omer, cette règle est respectée, ces sites n’étant que des outils numériques. “Les 160 avocats qui utilisent ma plateforme ne travaillen­t pas avec moi, confirme Romain Omer. Je leur fournis juste une infrastruc­ture technique.” À première vue, Divorce Pour Tous fonctionne de la même façon : Pierre Lumbroso et Leïla Djebrouni n’appartienn­ent pas au même cabinet et ne partagent pas les mêmes locaux. Mais dans ses conditions générales de service, le site se présente comme un “e-cabinet”, ce qui, déjà, peut prêter à confusion. Et surtout, un couple qui y recourt n’a d’autre choix que de se faire représente­r par ces deux avocats. “Nos clients ont toujours affaire à Pierre et à moi, ou à une collaborat­rice si l’un de nous deux est en audience”,

explique Leïla Djebrouni. Or, dans une note du 3 février 2017, l’Ordre des avocats de Paris rappelle que “chacun des époux doit avoir son propre avocat choisi librement et de façon indépendan­te”. Et ce, tout en alertant sur le risque de “participat­ion aux offres groupées consistant à proposer deux avocats préchoisis, eu égard à la nécessité du choix libre et indépendan­t de son conseil par chacune des parties”. Autrement dit, sans violer la loi, Divorce Pour Tous semble tout de même faire fi de certaines règles déontologi­ques.

Des prix cassés, mais sous certaines conditions

“Les avocats sont libres de leurs honoraires, confie Marie-Aimée Peyron.

Mais l’Ordre veille tout de même à ce qu’ils ne travaillen­t pas à perte.” Pas d’inquiétude pour les services en ligne : même à 250 euros pour la formule de base, le divorce s’avère une affaire rentable. D’abord, parce que les procédures sont en grande partie automatisé­es. Les modèles de convention­s, prêts à l’emploi, ne nécessiten­t que peu d’interventi­ons humaines, et donc de personnel.

“Leur correction ne demande

que cinq à dix minutes de travail”, reconnaît Pierre Lumbroso. Ensuite, parce que les rendez-vous sont minutés. “Le premier dure en moyenne trente minutes, le second, pour la signature de la convention, de dix à quinze minutes”, ajoute Romain Omer. Enfin, parce qu’ils se rattrapent sur le volume. Divorce Pour Tous traite une trentaine de dossiers par mois. Avocat Omer, environ 500.

L’affaire est d’autant plus juteuse qu’au prix de départ s’ajoute celui des options, qui varie en fonction de la situation familiale des époux. Ainsi, un couple avec au moins un enfant et un bien immobilier paierat-il 495 euros par divorcebox au lieu de 250 euros en temps normal. Sans que cela nécessite beaucoup plus d’opérations de la part des avocats.

Attention, également, à ceux qui, dans leur devis, glissent des prestation­s hors forfait, qui peuvent générer des frais additionne­ls : demandes de modificati­ons de la convention après sa validation, rendez-vous imprévus… Au taux horaire de 120 euros, par exemple, avec certains profession­nels référencés sur Alexia.fr, site qui propose aussi des devis de prime abord à prix réduits.

Une séparation rapide, mais rarement dans les temps

“Votre divorce tout compris en quinze jours.” Avocat GC, lui, n’hésite pas à promettre l’impossible. Mais il n’est pas le seul. Même l’échéance d’un mois annoncé par Avocat Omer s’avère difficilem­ent tenable. En cause, des délais légaux à respecter. D’abord, les quatorze jours durant lesquels les époux peuvent faire jouer leur droit de rétractati­on suite à leur commande en ligne. Ensuite, les quinze jours de réflexion obligatoir­es après l’établissem­ent de la convention de divorce. Et de nouveau quinze jours à chaque modificati­on de celle-ci. Enfin, il faut compter sept jours pour son enregistre­ment par le notaire.

Bref, dans le meilleur des cas, le divorce sera effectif dans les trois mois. Le mois annoncé prend seulement “en compte le temps nécessaire à la retranscri­ption de la convention, confesse d’ailleurs Romain Omer. Pour ce calcul, nous nous sommes basés sur le cas simple du divorce d’un couple parisien sans enfant ni bien en commun.”

Des divorces actés, mais pas gravés dans le marbre

Depuis l’entrée en vigueur de la loi de modernisat­ion de la Justice, le divorce par consenteme­nt mutuel est, comme le mariage, soumis… au droit des contrats. Avec, à la clé, de possibles contentieu­x. Ainsi en serat-il si la valeur d’un bien attribué à l’un des époux a été sous-estimée, si des éléments ont été cachés lors de la rédaction de la convention, ou si des pressions ont été exercées sur l’un des conjoints pour qu’il accepte le divorce ou certaines clauses. Ce qu’il faudra prouver… en prenant un avocat, cette fois à plein tarif. Et l’opération peut déboucher sur une annulation du contrat. Et donc du divorce. Retour à la case départ ! ■

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