La suppression du portable au collège vue par #14
Extérieur jour. #14 avale la pizza préparée avec amour par son père.
— Aide-moi, je suis à court d’idée pour
ma chronique de 01net Magazine.
— Laisse-moi, je réfléchis à mon avenir. — Señorita, raconte-moi un truc sur l’interdiction du portable à l’école par ton ministre, Jean-Michel Blanquer, le nouveau Dieu de l’Éducation.
— Ben, y’a deux jours, une fille de la classe
s’est fait confisquer son portable. — Ah oui ? Pourquoi ?
— Il a sonné en cours. Le prof l’a confisqué, et la fille a pleuré.
— Pourquoi elle a pleuré ?
— Parce qu’elle a un long trajet à faire
entre l’école et chez elle.
— Et alors ?
— Ben, elle a pleuré. Souvent ils pleurent
quand on leur supprime leur téléphone. — Mais le prof, il le lui a rendu ?
— Il le garde pendant quinze jours. — Quinze jours !!! — Ouais, c’est la peine capitale. On a tous pris sa défense, on est pour les droits de l’enfant. — Comment ça, sa défense ?
— Ben, on a protesté.
— Rassure-moi, tu n’as pas interpellé le professeur, qui n’a fait qu’appliquer la nouvelle loi ?
— On a tous contesté sa sévérité, par solidarité. Quinze jours, c’est trop long. Comment elle va retourner chez elle ?
— Tu sais, depuis Jules Ferry, des générations de Français sont allées à l’école sans portable. Et on arrivait quand même à rentrer chez nous ! Tu imagines ?
— Mais c’est vous, les darons, qui nous avez fourgué les portables parce que vous aviez peur des enlèvements, du harcèlement dans le métro et des pédophiles. Vous nous avez équipés, et maintenant vous flippez. C’est vous les accros, pas nous. — Tu as un peu raison.
— Maman, si je n’avais pas le portable,
elle serait hyperinquiète.
#14 dévore sa pizza avec énergie, tout en menant quatre conversations sur son smartphone et en répondant à mes questions. Je reprends.
— En fait, ce que nous voudrions, nous, les parents, c’est que vous l’utilisiez quand nous nous pensons que c’est le moment. — Sauf que le jour où on a confisqué mon portable, maman s’est jetée sur le sien pour appeler dix enfants qui en avaient aussi un. Pour savoir où j’étais ! Résultat : vous êtes pas logiques, vous, les adultes. Vous voulez pas qu’on s’en serve trop, mais si on décroche pas 24 h/24, vous devenez dingues. — OK.Maiscommentçasepasselesrécrés
sans portable ? Vous faites quoi ? — Ben rien, on s’assoit, on discute, sinon
c’est le malaise si on parle pas.
— Vous n’aimez pas le silence ?
— Non, c’est qu’il y a des silences gênants,
et d’autres grave agréables.
— Tu crois que si on vous laissait vos portables pendant la récré, ce serait mieux ? — Pas forcément, mais quand même, si
on avait notre musique, ce serait mieux. — Vous feriez quoi ? Chacun son casque ? — Non ! On se ferait écouter nos musiques. — Au final, tu penses qu’il va lui rendre
avant quinze jours, son portable ? — Aucune chance, sauf si les parents le
réclament explicitement. — C’est-à-dire ?
— Si ce sont des parents normaux, ils seront d’accord avec la décision du prof. Et donc ne contesteront pas. Et donc, elle sera sans portable pendant quinze jours. — Au final, la sanction du prof est juste ? — Non, trop sévère par rapport à la faute commise. C’est cher payé pour avoir oublié d’éteindre son téléphone avant d’entrer dans le bahut.
— Quelle sanction aurais-tu prise ? — Un mot dans le carnet, ça suffisait. — Tu connais Jean-Michel Blanquer ? — Ouais. Il est vieux comme toi, chauve comme toi, et il ressemble à un Minion dans Moi, moche et méchant. Et lui, je suis sûre qu’il a son portable allumé toute la journée.
— Oui, sauf le mercredi matin. — Pourquoi ?
— Parce que c’est interdit pendant le Conseil des ministres.
— Ouais, mais lui, si son téléphone vibre, Macron ne le lui supprimera pas pendant quinze jours.
— Elle était bonne ma pizza ? — Ouais, tu changes de sujet. Je t’ai clashé, genre t’as plus rien à dire.
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