Le fait marquant
Les forçats du jeu vidéo se rebiffent.
PAS UNE PARTIE DE PLAISIR ! Même si vous n’êtes pas au fait de l’actualité vidéo ludique, vous avez probablement entendu parler de Red Dead Redemption II. Conçu par le studio Rockstar Games, créateur des célèbres Grand Theft Auto (GTA), c’est l’un des blockbusters les plus attendus de l’année (lire p. 73). Mais sa sortie, fin octobre, a été marquée par une vive polémique déclenchée par des propos de son producteur : « Nous avons fait des semaines de cent heures », a lâché Dan Houser au New York Magazine. La petite phrase a provoqué la colère de nombre de salariés du secteur, alors que des centaines d’entre eux se plaignent depuis quelques semaines de leurs conditions de travail calamiteuses sur Twitter, sous le hashtag #AsAGamesWorker.
Ils dénoncent notamment ces périodes d’activité intense, appelées dans le milieu « crunch time ». Une pratique très répandue : 51 % des employés interrogés en 2017 par l’association internationale des développeurs de jeu IGDA affirmaient la subir. « Les journées commencent à 9 heures et se terminent vers 23 heures. Et ça dure des semaines, voire des mois », explique Noah Young, game designer et membre du Syndicat des travailleurs et travailleuses du jeu vidéo (STJV), né il y a à peine plus d’un an. Il assure que ces horaires à rallonge pourraient être évités par des embauches et une meilleure organisation, mais certains éditeurs en auraient fait leur mode de production. Avec d’autant moins de scrupules que la culture du « crunch » serait inculquée dans nombre d’écoles spécialisées, les élèves étant invités à créer des jeux lors de marathons de quarante-huit ou soixante-douze heures.
Les employeurs profiteraient aussi de la passion de leurs salariés pour leur métier. « Quant à ceux qui refusent les heures supplémentaires, on leur fait comprendre qu’ils peuvent être remplacés par d’autres, plus motivés », grince Noah Young. Corvéables à merci, les travailleurs seraient aussi sous-payés. D’après le STJV, leur rémunération moyenne est nettement inférieure à celle qu’ils pourraient percevoir dans un autre secteur, à diplôme équivalent. Graphistes et game designers toucheraient à peine plus que le Smic en début de carrière.
LA GRÈVE, UNE PREMIÈRE ! Mais certains « prolos » du jeu vidéo se rebellent. Et pas seulement via Twitter. En février, une vingtaine de salariés du studio parisien Eugen Systems se sont mis en grève. Un événement inédit dans cette industrie. Ils reprochaient à leur direction des salaires inférieurs aux minimums légaux et le non-paiement des heures supplémentaires. Ils ont cessé leur débrayage au bout de sept semaines, sans avoir obtenu gain de cause sur toutes leurs revendications. Mais une quinzaine d’entre eux ont saisi le conseil des prud’hommes, bien décidés à faire valoir leurs droits et à montrer l’exemple à leurs confrères.