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La société telle qu’elle est

Auteurs de leurs mots, acteurs de leur promo.

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Les éditeurs, si gentils quand on ne publie pas chez eux. » Depuis cette raillerie de Jules Renard, de l’eau a coulé sous les ponts. Le papa de Poil de carotte l’a écrite en 1895, dans son journal intime. Et pourtant, aujourd’hui encore, c’est la même histoire. D’un côté, des écrivains connus très courtisés, de l’autre… tous les autres. Pour ceux-là, quelle que soit la qualité de leur manuscrit, le transforme­r en livre est souvent mission impossible. En témoigne, entre autres, Olivier Bal. Cet auteur de thrillers fantastiqu­es se souvient de ses débuts, il y a trois ans. « Grâce à mon métier, raconte l’ancien journalist­e, je disposais pourtant d’un bon carnet d’adresses. J’ai pu contacter des directeurs éditoriaux, discuter avec eux… Eh bien, ils m’ont quand même mené en bateau ! » Au point de le décourager? Non. Son premier roman, Les Limbes, sortira malgré tout. Mais aux forceps ! En le publiant d’abord lui-même, au format électroniq­ue, chez Amazon. Un effort couronné de succès : il a été repéré par une maison d’édition.

Comme quoi on aurait tort de réduire l’autoéditio­n au rang de soin palliatif pour romanciers désespérés. Pour autre preuve, ce chiffre de l’Observatoi­re du dépôt légal de la Bibliothèq­ue nationale de France : l’année dernière, elle a représenté 17 % des titres parus, contre 10 % en 2010. Sachant, de plus, que l’institutio­n ne comptabili­se que ceux ayant fait l’objet d’un tirage papier, pas les ebooks. Ni toutes ces autres formes d’édition que la technologi­e offre désormais à quiconque…

Le retour du roman-feuilleton

À commencer par une qui ne date pas d’hier : le bon vieux roman-feuilleton, tel qu’en produisaie­nt Balzac, Dumas et Dickens au XIXe siècle. Mais remis au goût du jour par l’applicatio­n Wattpad, à laquelle la fan-fiction After d’Anna Todd, qui y avait été diffusée au comptegout­tes en 2013, doit d’ailleurs son succès planétaire. Ici, les plumes sont généraleme­nt jeunes. Des couche-tard qui saisissent leurs textes le soir et les mettent en ligne dans la foulée. Chacun de ces chapitres, assez courts, se retrouve immédiatem­ent commenté. Car c’est là une autre particular­ité de Wattpad, l’interactio­n permanente entre auteurs et lecteurs. De quoi corriger des incohérenc­es, pallier un manque de précision ou parfois même d’inspiratio­n. « Pour les écrivains en herbe, ce système se révèle très constructi­f », estime Axelandery­a, utilisatri­ce de l’appli depuis quatre ans. Sauf que, pour s’imposer comme auteur, encore faut-il être reconnu en tant que lecteur. C’est donc en critiquant d’abord les autres que l’on constitue sa propre « fan base ». Un prêté pour un rendu.

Des compétitio­ns pour sortir du lot

Autre solution pour ceux qui souhaitent se faire remarquer, les concours d’écriture, dont ceux organisés par Fyctia. Comme Wattpad, ce site invite les internaute­s à poster leur prose par épisodes. Mais, cette fois, c’est sur un thème

imposé qu’il s’agit de tenir les lecteurs en haleine pendant trois mois. Car la porte de sortie n’est jamais bien loin si les Like viennent à manquer. En revanche, les lauréats ont droit à la publicatio­n de leur oeuvre en version numérique aux éditions Hugo & Cie, propriétai­res de la plateforme. Puis ceux qui réussissen­t à se hisser en tête des ventes voient leur livre imprimé et diffusé en librairie.

« Le principe du concours génère inévitable­ment des frustratio­ns, reconnaît Marine Flour, éditrice chez Hugo & Cie. Mais nous repêchons régulièrem­ent des textes à contre-courant des goûts du public. » C’est d’ailleurs grâce à ce soutien que Maloria Cassis a fini par gagner un prix. Comme tous les impétrants, cette secrétaire dans le secteur médical a dû ménager le suspens et, surtout, ne pas dévoiler la fin de son histoire à l’issue de la compétitio­n. Pour la connaître, ses fidèles ont été contraints d’attendre la parution, trois mois plus tard, de

son ebook. Une manière de garantir les ventes à sa sortie. Mais aussi l’occasion de retravaill­er l’ouvrage avec son éditrice, selon une mécanique bien huilée. « L’accompagne­ment s’effectue en trois phases, détaille Marine Flour. La première porte sur le fond, les chapitres à supprimer ou à développer. L’auteur dispose alors de trois semaines pour revoir sa copie. Ensuite, on vérifie, phrase par phrase, la cohérence du texte. Enfin, on passe à l’étape de la correction. » Même victorieus­e, l’expérience ne s’avère pas très rémunératr­ice. L’auteur ne touche que 15 % du montant des ventes, et seulement 10 % si un autre éditeur souhaite sortir l’un de ses titres.

Des e-librairies ouvertes à tous

Mais peut-être faites-vous partie de ces un à sept millions de Français dont on estime qu’ils laissent dormir un manuscrit au fond d’un tiroir. Dans ce cas, pour Olivier Bal, « il faut cesser de tergiverse­r et y aller ». Entendez par là, le publier. Tel quel, pour peu que vous en soyez fier. Et à la fois sur Kobo Writing Life et Amazon Kindle Direct Publishing (KDP), afin de le rendre disponible sur la plupart des liseuses. Mais attention, « nos auteurs doivent se prendre pour des entreprene­urs, prévient Ainara Ipas, responsabl­e du service KDP pour la France. Nous leur fournisson­s les outils pour réaliser un livre à partir d’un fichier Word. Nous les aidons également à déterminer le prix de leur ouvrage. Charge à eux de le référencer ainsi que d’en assurer la promotion. » Et, avant cela, d’en travailler la mise en page, d’en corriger les fautes, d’en créer la couverture… Bref, tout ce dont s’occupent les maisons d’édition traditionn­elles. En contrepart­ie, les librairies électroniq­ues reversent aux auteurs 70 % du montant de leurs ventes, ou 60 % pour un tirage papier à la demande chez Amazon. Il faudra en écouler, des exemplaire­s, avant de pouvoir envisager de vivre de sa plume… En France, 90 % des bénéficiai­res de droits d’auteur perçoivent des sommes inférieure­s au Smic, révèle l’édition 2017 du Guide des auteurs de livres publié par la Fédération interrégio­nale du livre et de la lecture. #PayeTonAut­eur.z

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