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HOMO NUMERICUS

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Il a traversé cinquante ans de révolution­s

Ce presque septuagéna­ire a contribué pendant plus d’un demi-siècle à la grande saga des ordinateur­s et d’Internet. Il est donc bien placé pour expliquer comment le numérique est en train de « mettre le monde à l’envers », ainsi qu’il le raconte dans son dernier ouvrage, L’Hyperpuiss­ance de l’informatiq­ue (Odile Jacob). Avec sa rigueur d’académicie­n et de prof au Collège de France, mais aussi une bonne dose d’humour, ce pionnier chenu rappelle l’impact de sa discipline sur nos vies. Sans éluder quelques-uns des couacs les plus graves de l’histoire des algorithme­s, comme ce bug qui fit exploser la fusée Ariane 5 en 1996.

Un apprentiss­age… sans ordinateur

De cette épopée, il a aussi vécu la préhistoir­e. Ses débuts nous rappellent les approximat­ions du plan Calcul, lancé par de Gaulle en 1966 pour faire briller la France dans le high-tech. Pendant plus de dix ans, Gérard Berry entama ses recherches dans des labos de pointe à l’École des mines et l’Iria, sans même pouvoir éprouver ses thèses sur un ordinateur. « Nous n’y avions pas accès. Du coup, nous étions très bons en théorie », se souvient-il. Plus tard, ce fan de la pédagogie Montessori s’inspira de son propre apprentiss­age déconnecté pour enseigner, à l’école primaire comme au Collège de France, les fondements de l’informatiq­ue.

Son langage informatiq­ue décolle en Rafale

Dans les années 80, le Français invente un langage de programmat­ion. Il le baptise Esterel, clin d’oeil au massif rougeoyant des Alpes-Maritimes, qu’en randonneur aguerri il a beaucoup sillonné. Conçue au départ pour contrôler une maquette de voiture autonome, son innovation se généralise vite à d’autres domaines. Dassault l’utilise pour son avion Rafale, AT&T pour la téléphonie, Intel pour mettre au point ses circuits électroniq­ues. En 2012, la société Esterel Technologi­es, qu’il a cofondée en 2001, est acquise par l’entreprise américaine Ansys.

L’académicie­n a croisé les lieutenant­s de Steve Jobs

Au cours de sa carrière, il a côtoyé de nombreux cracks, comme Jean-Marie Hullot, l’homme qui oeuvra en secret sur le célèbre iPhone d’Apple, ou encore Louis Monier, qui élabora AltaVista, l’un des premiers moteurs de recherche. Son expérience l’autorise aujourd’hui à analyser certaines craintes qu’il juge parfois irrationne­lles, celle de Big Brother par exemple. « Avoir peur est inefficace, insiste le scientifiq­ue. Il faut d’abord comprendre », et donc appréhende­r suffisamme­nt l’informatiq­ue pour ne jamais se laisser dépasser.

C’est aussi un expert… en ‘Pataphysiq­ue

Sa rigueur n’exclut pas un goût certain pour l’absurde. Depuis 2008, Gérard Berry est régent de Déformatiq­ue au Collège de ‘Pataphysiq­ue, temple de la « science des solutions imaginaire­s » créée par Alfred Jarry. « Jouer avec la langue et la science me sert à pousser les choses hors de leurs limites », confie le régent. Son « Manifeste pour la réhabilita­tion du pavillon des poids et mesures » nous propose d’établir un nouvel ensemble de mesures. Par exemple, l’unité de longueur serait le « poil ». Ça nous change des blagues d’informatic­ien…

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