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PRÈS DE 250 PROCÉDURES PÉNALES ONT ÉTÉ OUVERTES AVEC DES CONDAMNATI­ONS DANS 95 % DES CAS

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■■■ que le reste de l’appareil ne soit plus attractif ou déconstruc­tible par les chaînes légales de recyclage des déchets », nous confie un gendarme qui souhaite garder l’anonymat afin de continuer à enquêter sereinemen­t.

Une autre raison de l’impossibil­ité de tracer les déchets s’avère réglementa­ire. « Autant il existe des codes douaniers différenci­és pour les véhicules selon qu’ils sont neufs ou d’occasion, permettant ainsi aux douanes de tenir des statistiqu­es et de contrôler au mieux cette filière, autant dans l’électroniq­ue, les quelque 200 codes douaniers qui existent dans le monde ne possèdent pas de définition commune du marché de seconde main. C’est le gros défi pour assurer une traçabilit­é au niveau mondial. On en parle depuis quinze ans, mais rien ne bouge », souffle David Rochat, directeur de la Sofies, entreprise suisse de conseil et d’études en économie circulaire et qui travaille depuis 2004 sur la filière des déchets d’équipement­s électrique­s et électroniq­ues (D3E).

Du matériel d’occasion vital pour l’économie locale

Ainsi 50 % des déchets électroniq­ues dans le monde ne rejoignent pas les filières légales. Erwann Fangeat, ingénieur à l’Agence de la transition écologique (Ademe), énumère les destinatio­ns de ces appareils : « Une partie est jetée dans les ordures ménagères sans préoccupat­ion du tri sélectif, une autre est abandonnée sur le trottoir ou volée dans les déchetteri­es, et rejoint les filières illégales. »

Lorsque ces appareils sont envoyés vers les pays africains ou asiatiques, les trafiquant­s contournen­t la réglementa­tion internatio­nale de la Convention de Bâle qui stipule que l’on ne peut exporter de l’équipement électroniq­ue que si la preuve est faite que le matériel d’occasion fonctionne toujours correcteme­nt. « Un test doit être effectué pour vérifier que les équipement­s sont aptes à remplir les fonctions essentiell­es qui sont les leurs. Or, ce dispositif est très peu respecté car il est relativeme­nt coûteux. Les trafiquant­s font fi de cette obligation et déclarent leurs déchets comme du matériel d’occasion », constate Guillaume Duparay, directeur de la collecte chez Ecosystem, le plus grand éco-organisme de France. Et il est impossible de vérifier tous les containers qui, d’Anvers à Rotterdam, en passant par Hambourg, Le Havre ou Marseille quittent l’Europe pour les pays en voie de développem­ent.

Les appareils exportés illégaleme­nt ne sont toutefois pas tous des déchets. « Dans le lot se trouve aussi du véritable matériel d’occasion dont les pays pauvres ont une cruelle nécessité, justement pour assurer leur développem­ent économique. Ils ne peuvent se procurer du matériel neuf en raison d’un pouvoir d’achat moins conséquent que dans les pays développés, aussi se livrent-ils à une récupérati­on de ces appareils, si besoin après réparation », explique David Rochat. L’exportatio­n des pays développés vers ceux moins favorisés alimente donc un trafic internatio­nal et le recyclage informel nourrit les population­s locales. S’ils sont 50 000 à trimer comme des forçats à Agbogblosh­ie pour un salaire de misère, le sacrifice de leur santé fait en effet vivre des centaines de milliers de personnes et leurs familles. Difficile d’interdire l’activité à cette population sans en proposer une autre, pérenne. « En outre, ce recy

clage créé une véritable économie circulaire. De mauvaise qualité, certes, mais si ces appareils sont recyclés de manière peu standard avec l’incinérati­on de câbles ou de plastiques à l’air libre, ce sont autant de déchets qui sont valorisés et qui finiraient jetés dans l’environnem­ent autrement », affirme David Rochat.

14 293 tonnes de déchets en 2018 contre 4 092 en 2017

Guillaume Duparay défend pour sa part l’action des forces de l’ordre en France : « Nous avons la chance de posséder des services qui démontrent leur efficacité, comme l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnem­ent et à la santé publique et l’Office central de lutte contre la délinquanc­e itinérante. Ces deux entités de la gendarmeri­e travaillen­t de concert avec la douane. » Près de 250 procédures pénales ont ainsi été ouvertes dernièreme­nt, aboutissan­t, selon le directeur d’Ecosystem, à « des condamnati­ons dans 95 % des cas » . Les peines prononcées peuvent être des travaux d’intérêt général, de la prison avec sursis voire ferme dans des cas de récidive, des saisies de véhicules et des amendes. En 2018, le total des constatati­ons de la douane sur les trafics de déchets, qu’ils s’agissent de tentatives d’exportatio­ns ou d’importatio­ns illégales, portait sur 14 293 tonnes de déchets (4 092 tonnes en 2017, soit une augmentati­on de 49 %).

Guillaume Duparay liste les améliorati­ons techniques mises en place : « Nous allongeons la durée de vie des appareils grâce au réemploi et au reconditio­nnement. Bientôt, nous ferons de la réparation que l’on cofinancer­a. Et quand on ne peut plus rien faire de ces équipement­s, nous développon­s le recyclage en mettant en place des boucles fermées qui évitent de trop puiser dans les ressources fossiles en réinjectan­t de la matière dans le circuit. » Erwann Fangeat insiste, quant à lui, sur une mesure simple adoptée par la France pour diminuer le trafic : « Nous avons interdit le paiement en liquide des métaux ferreux audelà de 500 euros. » L’impact est toutefois limité car des pays frontalier­s comme la Belgique, l’Allemagne et l’Espagne ne l’appliquent pas.

Au niveau mondial, les États-Unis demeurent le plus mauvais élève en raison d’un manque de règlementa­tion et d’une politique de laissez-faire. L’Union européenne, si elle interdit l’exportatio­n des déchets vers les pays qui n’ont pas la capacité de recycler, ne dispose pas des moyens de son ambition. La Chine a fermé ses frontières aux D3E, mais le flux continue de se déverser illégaleme­nt sur son territoire ou se dirige vers le Vietnam. Mesurons néanmoins le chemin parcouru. Il y a quinze ans, les déchets électroniq­ues n’étaient certes pas aussi importants en volume, mais ils finissaien­t tous, y compris dans les pays développés, au broyeur.

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Chaque année, des millions de tonnes de déchets électroniq­ues sont détournées des filières de recyclage.
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