Ce qui se trame dans les labos
Utiliser des bulles de savon et des drones pour polliniser les fleurs des vergers. Si l’idée semble loufoque, elle se révèle d’une stupéfiante efficacité.
- Drone de pollinisation.
- Mieux dater les peintures anciennes. - Pixel art.
La pollinisation par la main de l’homme est pratiquée depuis l’antiquité, comme l’attestent des écrits assyriens traitant de la culture du palmier dattier. Depuis quelques décennies, elle se développe largement en Asie, et notamment dans les immenses vergers chinois. En effet, les arbres fruitiers – tous clones d’une même variété – ne peuvent être pollinisés que par des pollens provenant de variétés différentes, qu’on ne trouve pas dans ces vastes parcelles. Situation dans laquelle bourdons et abeilles ne sont d’aucun recours et c’est donc à la main que l’on réalise cette minutieuse opération.
UNE GERMINATION DANS 95 % DES CAS. Des méthodes visant à automatiser le processus sont expérimentées comme la pulvérisation des grains de pollens directement sur les fleurs. Mais le manque de précision du dispositif impose d’en employer de grandes quantités, ce qui augmente sensiblement les coûts de production. Une pollinisation par microdrones a été tentée par l’équipe de Eijiro Miyako, du Collège doctoral de sciences et techniques de Hokuriku, région située au nord de Tokyo (Japon). Mais là encore le prix est élevé, et l’appareil endommage trop fréquemment le fragile pistil. La solution, Miyako l’a trouvée en regardant son fils jouer avec un souffleur de bulles de savon. Pourquoi ne pas les employer comme vecteur pour disséminer le pollen? Afin de tester cette technique, les scientifiques ont examiné les propriétés des bulles produites par des agents de surface ou tensioactifs (des molécules dont une partie est miscible dans l’eau, et l’autre miscible dans un corps gras) que l’on trouve dans le commerce. Ils ont découvert que jusqu’à 2000 grains de pollens – dont la taille varie entre 20 et 55 micromètres environ – peuvent s’agglutiner à la surface de certaines bulles sans altérer leurs propriétés mécaniques. Après avoir sélectionné le tensioactif le plus adapté au transport des grains, ils en ont modifié la composition en ajoutant diverses molécules d’engrais, boron, calcium, magnésium…Les bulles chargées de pollen, pulvérisées sur des fleurs de poirier, ont déclenché la germination dans près de 95% des cas, soit autant qu’en pollinisation manuelle.
UN ÉPAISSISSANT POUR RENFORCER LES BULLES. Afin de diffuser les grains sur de vastes surfaces, les chercheurs estiment qu’un drone multirotor, programmé pour parcourir la parcelle de façon autonome, pourrait constituer une solution économiquement intéressante. Seul problème, le souffle des hélices fait éclater les bulles produites par le diffuseur situé sous l’appareil. Pour éviter cela, un additif épaississant a été ajouté au mélange, conduisant à une amélioration spectaculaire de la résistance mécanique des bulles.
DES TENSIOACTIFS TRÈS POLLUANTS. Celles-ci peuvent en effet heurter le sol ou s’accrocher au pistil de la fleur sans éclater, et conserver leur intégrité durant plusieurs minutes. Là encore, le dispositif a montré une efficacité considérable. Ce nouveau mode de pollinisation artificielle pourrait être utilisé dans des secteurs où les insectes ne sauraient être mis à profit ou pour pallier leur raréfaction. À condition toutefois de régler un problème majeur : les tensioactifs utilisés dans le cadre de l’expérimentation sont très polluants et subsistent longtemps dans l’environnement. C’est pourquoi les chercheurs s’efforcent maintenant d’identifier des produits compatibles avec une agriculture durable, tout en offrant les mêmes propriétés mécanochimiques.