La chronique de David Abiker
(OU POURQUOI J’AI FERMÉ MON COMPTE TWITTER)
Ça me chatouillait depuis des mois. Hier soir, j’ai clôturé mon compte Twitter. L’idée m’est venue il y a quelques semaines quand j’ai reçu une alerte du réseau social m’informant que j’étais membre depuis onze ans.
Onze ans sur Twitter à raison d’une demi-heure par jour, j’ai fait le calcul. Cela fait un total de 83 jours à tweeter, l’équivalent d’un confinement ! Et encore, si j’étais honnête, je pourrais multiplier ça par deux…
Pourquoi? Pourquoi renoncer à 155000 abonnés (dont plus de la moitié inactifs ou totalement dormants, ou indifférents?). La raison principale, c’est peut-être que je ne supportais plus l’avis des autres. Ne le supportant plus, j’ai rapidement conclu que la réciproque était vraie. Les exaspérations des autres étaient sans doute le reflet de ma propre exaspération. Insupportables ne nous supportant plus.
Mais exaspéré de quoi au juste? De tout. Des petites phrases. Des vidéos de robots faisant des cabrioles. Des militants de droite et de gauche. Des opinions définitives sur tout. Des indignations, des attendrissements. Des réclamations de clients insatisfaits par un colis postal qui n’arrive pas. Exaspéré par l’air du temps. Au départ, chacun disait que le réseau social était un miroir déformant des passions françaises. Onze ans plus tard, Twitter ne me semble être que l’honnête reflet d’un pays en colère, une agrégation de mécontentements qui tape sur son propre système et qui tape sur le système.
Et puis, je riais moins. Je faisais des calembours qui n’amusaient plus que moi. Et, j’ose le dire, des gens que j’aimais bien sans vraiment les connaître me sortaient par les yeux avec leurs idées, leurs tribunes, leur intransigeance et leur impatience. Et je me suis dit que s’ils étaient aussi détestables en apparence, c’est que je devais l’être aussi.
Quelque 155000 abonnés, purée. Renoncer à cette «influence»… À cette tribune. Cette possibilité de m’exprimer. Twitter avait pourtant une vertu. Quand j’étais contrarié ou frustré, que je n’étais pas d’accord avec un journal ou la télévision, eh bien je tweetais. C’était ma façon à moi de protester de mon salon, confortablement installé.
Dénoncer, mais quel plaisir. Dénoncer des jeunes sans masque. Dénoncer des jeunes en trottinette à deux au milieu de la rue. Dénoncer des propos qui n’étaient pas de mon bord. Dénoncer le politiquement correct des uns qui n’est que le conformisme intellectuel des autres. Bref, « tu tweetes que de la merde » m’a lâché un jour ma cadette qui n’aime pas Twitter. Pourtant, elle n’avait pas lu Le Figaro du 15 juin dans lequel le romancier Jean-Michel Delacomptée publiait le texte qui acheva de faire tomber de la branche le vieux moineau qui gazouillait dessus depuis une décennie: « L’influence virale des réseaux sociaux paraît, là comme ailleurs, évidemment centrale, mais l’habituelle médiocrité des messages qui s’y propagent traduit un mal qui les dépasse. C’est le corps social dans son ensemble qui se trouve impliqué dans cette médiocrité affligeante. »
On ne saurait mieux dire. Et puis, j’ai 51 ans. Je me suis regardé un soir nu dans la glace avec ce corps pendouillant et mon smartphone-moignon. Je me suis dit que l’accélération du temps symbolisée par Twitter ne pouvait plus convenir à ce vieux corps gorgé de saucisses.
L’idée de céder mon compte pour de l’argent m’a traversé. Mais on ne vend pas son compte Twitter. Alors, le soir du résultat des élections municipales, au lieu de moquer tout ce qui pouvait passer à la télévision comme souvent lors des grands soirs du petit écran (Eurovision, télécrochets, élections, foot), j’ai raccroché.
Ma cadette à qui j’en ai parlé m’a demandé : « Mais tu vas faire quoi à la place quand tu voudras te plaindre d’un truc, tu appelleras ta mère ou tu vas nous engueuler ma soeur et moi ? » C’est vrai, ça. Où me plaindre désormais? Plus d’espace pour cracher, pour dégazer comme un méthanier en mer du Nord. Plus d’exutoire à mes angoisses civilisationnelles. Plus de tribune d’où je pouvais vitupérer, ou dans le meilleur des cas faire l’important en conseillant un livre ou un album de variétés pour montrer combien j’étais dans le coup.
J’ai regardé ma fille et je lui ai dit: « Quand ça n’ira pas, eh bien je t’en parlerai, et on discutera ensemble de notre vie sans Twitter. On trouvera nécessairement un truc à se dire ou alors on ira promener le chien, toi et moi, en attendant que tu aies 18 ans et moi 52.»