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IL VEUT DEVIER DES ASTEROIDES

Cet astrophysi­cien à la renommée internatio­nale a pris la tête de la mission spatiale européenne Hera, qui doit analyser les effets de la collision d’un engin de la Nasa avec un astéroïde. L’enjeu ? Que l’humanité ne subisse pas le même sort que les dinos

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« NOUS AVONS LA RESPONSABI­LITÉ DE NOUS PRÉPARER, EN PRENANT LE TEMPS NÉCESSAIRE ET AVEC DES BUDGETS COHÉRENTS »

Protéger la Terre contre des astéroïdes potentiell­ement destructeu­rs, telle est la mission de l’astrophysi­cien Patrick Michel, directeur de recherche au CNRS à l’Observatoi­re de la Côte d’Azur. Il ne s’agit pas du scénario d’un film de science-fiction au budget faramineux, mais d’un projet scientifiq­ue bien réel, échafaudé par les agences spatiales européenne (ESA) et américaine (NASA).

La cible du premier test de déviation se nomme Dimorphos, mesure environ 160 mètres de diamètre et se présente comme l’unique satellite d’un autre astéroïde de cinq fois sa taille, Didymos, avec lequel il est en orbite à environ un kilomètre de distance. L’opération va commencer en fin d’année avec l’envoi par la NASA de l’impacteur Dart, un engin de 500 kilos qui doit entrer en collision avec Dimorphos en 2022. Puis l’orbiteur Hera, la sonde de la mission européenne dont Patrick Michel a la charge, atteindra le double astéroïde afin de mesurer les conséquenc­es de l’impact. ENJEU MONDIAL. C’est au début des années 2000 qu’est né ce projet spatial. La dimension internatio­nale du risque associé à la chute d’un astéroïde conduit alors l’ESA et la NASA à établir deux missions indépendan­tes mais complément­aires. L’orbiteur Hera, qui ne décollera qu’en 2024 depuis la Guyane, s’approchera de Dimorphos cinq ans après la collision avec Dart, et n’assistera donc pas directemen­t au spectacle, mais sa mission n’en est pas moins cruciale. Il déploiera deux microsatel­lites équipés d’un radar basse fréquence qui scanneront, pour la première fois, la structure interne de l’astéroïde. Il mesurera ensuite la taille du cratère formé à la suite de la collision et, conjointem­ent avec des télescopes situés sur Terre, le mouvement transmis par l’impacteur, afin d’établir avec précision l’efficacité de la méthode de déviation. Ce projet marque la première étape dans le développem­ent d’une stratégie de défense planétaire contre les dangers venus du cosmos et approfondi­ra nos connaissan­ces sur l’histoire du système solaire. DEVOIR D’ANTICIPATI­ON. En dépit de son vif intérêt pour cette problémati­que, Patrick Michel n’a pas peur que le ciel lui tombe sur la tête, car le risque d’impact cosmique est faible, à court terme, par rapport à celui des autres risques naturels tels que les séismes ou les typhons. Ce qui le motive, c’est plutôt la capacité de l’humanité à prédire et déjouer une telle catastroph­e qui, si elle devait se produire, aurait des conséquenc­es bien plus graves qu’aucune autre. La disparitio­n des dinosaures en est un exemple évoquant.

« Nous avons la responsabi­lité de nous préparer, en prenant le temps nécessaire et avec des budgets cohérents qui n’engouffren­t pas, soudaineme­nt et trop tard, l’économie », estime-t-il en troquant brièvement son air jovial pour une mine concernée. Ce devoir d’anticipati­on pour les génération­s futures prend tout son sens alors qu’une pandémie mondiale, pour laquelle la société n’était pas prête, fait encore rage. Il faudra des années avant de pouvoir en mesurer tous les effets. Mais l’astrophysi­cien aborde ce projet spatial avec un optimisme solaire car, pour lui, il représente la capacité humaine à s’unir et collaborer pour une cause commune.

Son enthousias­me intarissab­le, Patrick Michel le puise dans une volonté altruiste de partage. Incapable de savourer pleinement un plaisir sans en faire profiter les autres, ce faiseur de sciences en est aussi un passeur invétéré. En 2012, l’Union américaine d’astronomie lui remet la médaille Carl-Sagan pour récompense­r ses efforts dans la communicat­ion auprès du grand public. Il passe à la radio, à la télévision et donne des conférence­s partout dans le monde. Le cosmos intrigue les profanes mais l’astrophysi­cien varois reconnaît que la science peut faire peur par son apparente complexité. « Il est important d’expliquer simplement les choses pour faire rêver les gens et susciter le goût du défi et la curiosité des jeunes », explique-t-il, les yeux pétillants de passion. COLLÈGUE ROCK STAR. Fait remarquabl­e, Patrick Michel travaille avec Brian May, guitariste du groupe de rock britanniqu­e Queen et docteur en astrophysi­que, également impliqué dans le projet Hera. « J’ai grandi à Saint-Tropez, où j’ai vu des stars pendant toute ma jeunesse, donc je ne me laisse pas impression­ner, confie-t-il avec un grand sourire. Je vois l’homme, la personne, plutôt que la célébrité.» Cette collaborat­ion insolite mais décomplexé­e montre d’ailleurs au public «qu’on peut être une rock star et s’intéresser aux sciences dures ».

S’il a la tête dans les étoiles, Patrick Michel garde toutefois les pieds sur Terre et déplore les dérives de la «starisatio­n» des chercheurs, qui se sont récemment illustrés lors de la pandémie. Il regrette une tendance à donner plus d’importance aux formes qu’au fond et un égarement dans la prise de parole. «La science n’est pas une démocratie, rappelle-t-il. On peut avoir raison contre tous, mais quand on ne sait pas quelque chose, il faut aussi savoir le reconnaîtr­e ! »˜

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