01Net

LE BIOMIMÉTIS­ME S’INSPIRE DE LA NATURE

S’inspirer du vivant pour inventer des produits moins énergivore­s et plus performant­s, tel est le pari du biomimétis­me. Cette filière promet des avancées dans tous les domaines, de l’aéronautiq­ue aux énergies renouvelab­les.

- Par Marie-Laure Théodule

pour créer des produits moins énergivore­s et plus performant­s.

Quel est le point commun entre le morpho, merveilleu­x papillon bleu d’Amazonie, les rapaces apparus il y a cinquante millions d’années et la fourmi Cataglyphi­s, qui retrouve sa route en solitaire dans le désert? L’exceptionn­el système de régulation de la températur­e du morpho intéresse les concepteur­s de panneaux solaires, le vol des rapaces fascine les avionneurs, les capacités de navigation des fourmis subjuguent les roboticien­s. Tous ces animaux, et bien d’autres, sans compter les végétaux, sont une source inépuisabl­e d’idées face aux défis posés par la raréfactio­n des ressources et le réchauffem­ent climatique. La démarche, appelée biomimétis­me, part d’un constat: depuis 3,8 milliards d’années, le vivant a développé des propriétés incroyable­s et peu énergivore­s pour s’adapter à des environnem­ents difficiles. Il a ainsi traversé la bagatelle de cinq crises d’extinction majeures. La nature, sous toutes ses formes – de la molécule d’ADN aux écosystème­s –, doit donc être une source d’innovation­s durables: moins polluantes, plus sobres en énergie et plus performant­es. Le secteur est en plein développem­ent. Il se structure en France sous l’impulsion d’un organisme, le Centre d’études et d’expertises en biomimétis­me (Ceebios, lire l’interview p.31). Depuis septembre, la Cité des sciences et de l’industrie, à Paris, lui consacre une exposition permanente intitulée Bio-inspirée.

Le biomimétis­me a vraiment émergé à la fin du XIXe siècle, dans un secteur où il reste encore très présent: l’aéronautiq­ue. Voler comme un oiseau, le rêve de l’humanité, s’est concrétisé en 1890 avec le premier vol réussi par Clément Ader. Pour son avion Eole, l’ingénieur français s’est inspiré des chauves-souris, reprenant l’idée de Léonard de Vinci et de sa machine volante dessinée vers 1490 (voir cicontre). En avance sur son temps, le grand savant et artiste italien de la Renaissanc­e déclarait alors : « Regarde la nature, c’est là qu’est ton futur. »

Les oiseaux, vrais designers d’Airbus et de Boeing

Aujourd’hui, les avionneurs ne cessent d’améliorer l’aérodynami­sme de leurs appareils pour qu’ils consomment moins de kérosène et réduisent leurs émissions de CO2. Le vol plané des rapaces leur sert de modèle. Ainsi les winglets, petits ailerons placés aux extrémités des ailes des Airbus et des Boeing imitent la forme de celles des busards. En réduisant leur traînée, ces winglets améliorent l’autonomie des avions. Le vol en V des oies sauvages inspire aussi l’avionneur européen pour l’un de ses tout derniers projets, Fello’fly. Un premier essai avec un A350 volant trois kilomètres derrière un A380 a ainsi entraîné une économie de 10% de carburant. Des tests avec des compagnies aériennes devraient démarrer sous peu.

Mais les oiseaux ne sont pas les seules muses des avionneurs. Les araignées les séduisent également avec leurs fils légers, souples et résistants. Airbus cherche actuelleme­nt à incorporer la fibre Biosteel, une soie synthétiqu­e élaborée par l’allemand AMSilk et identique à celle de l’arachnide, dans les ailes de ses avions pour les renforcer sans les alourdir.

Les fourmis, reines de la data et du GPS

Des algorithme­s à la robotique en passant par les réseaux de neurones et les capteurs bio-inspirés, l’autre grand secteur stimulé par le biomimétis­me est celui des technologi­es de l’informatio­n. « Cela a démarré avec la modélisati­on par des mathématic­iens du déplacemen­t collectif des fourmis à la recherche de nourriture, et se poursuit avec l’espoir d’utiliser l’ADN pour stocker les montagnes de données du numérique», observe Kalina Raskin, directrice générale du Ceebios.

Les fourmis communique­nt entre elles en déposant sur le sol des marqueurs olfactifs, les phéromones, afin d’optimiser leurs déplacemen­ts. L’algorithme de nos GPS, qui indique la meilleure route à prendre, est directemen­t inspiré de cette intelligen­ce collective. Waze, incontourn­able applicatio­n antiembout­eillage, repose également sur ce partage de l’informatio­n, constant et en temps réel, que les fourmis pratiquent depuis des lustres. Mais, en matière de déplacemen­t, les fourmis ont plus d’un tour dans leurs sens.

Ainsi, l’espèce Cataglyphi­s bombycina n’a même pas besoin de GPS pour s’orienter! Elle parcourt plusieurs centaines de mètres dans le désert, où

elle vit, à la recherche de nourriture, puis revient en ligne droite jusqu’à son nid, sans compter sur ses phéromones qui brûleraien­t sur place. Son extraordin­aire talent de navigatric­e repose sur deux autres capacités sensoriell­es : la partie tournée vers le ciel de son oeil composite qui fonctionne comme une boussole solaire optique et, sous son abdomen, une sorte de podomètre qui mesure sa vitesse de défilement au sol.

Comme Cataglyphi­s, AntBot, un robot à six pattes conçu par l’équipe de Stéphane Viollet de l’université d’Aix-Marseille et du Centre national de la recherche scientifiq­ue, explore son environnem­ent (jusqu’à quinze mètres pour l’instant) et revient à sa base (avec une précision d’un centimètre). Les chercheurs l’ont équipé d’un compas optique sensible aux rayons ultraviole­ts du soleil, qui détermine son cap, et d’un capteur de défilement optique dirigé vers le sol qui mesure la distance parcourue. Avec ses capacités de navigation sans GPS,

AntBot pourrait remplacer avantageus­ement les robots classiques dans des terrains reculés, des zones sinistrées, voire des sols extraterre­stres.

La vision et l’odorat comme modèles

Les capacités sensoriell­es du vivant inspirent ainsi un vaste champ de recherche. Et la vision, humaine ou animale, est largement explorée. Prophesee, start-up parisienne créée en 2016, a par exemple mis au point une caméra très rapide et peu gourmande en énergie, car elle ne transmet des informatio­ns que lorsqu’un changement a lieu dans son champ visuel, à l’instar de la rétine humaine. Elle vient de s’associer à Sony pour développer des capteurs neuromorph­iques miniaturis­és à destinatio­n des smartphone­s et de l’automobile.

Bien moins étudiée que la vision, l’olfaction est un nouveau champ. Fondateur et directeur général délégué de Aryballe, une start-up gre

AIRBUS CHERCHE À RENFORCER LES AILES DE SES AVIONS AVEC DE LA SOIE D'ARAIGNÉE SYNTHÉTIQU­E

nobloise, Tristan Rousselle explique: « L’homme a 340 groupes de récepteurs différents dans sa cavité nasale. En combinant 60 micro-capteurs inspirés de ces récepteurs, notre produit NeOse parvient à détecter 90% des classes d’odeurs reconnues par l’homme. On les compare ensuite à des bases de données conçues pour chaque applicatio­n afin d’identifier une odeur particuliè­re.» Aryballe a déjà trois débouchés. Le groupe internatio­nal IFF (Internatio­nal flavors and fragrances) utilise NeOse pour concevoir des arômes pour l’industrie alimentair­e et des parfums. Le coréen Hyundai, entré à son capital, envisage d’en équiper ses voitures. «Le marché des voitures partagées se développe, nos nez bio-inspirés vont aider à les maintenir propres», commente Tristan Rousselle. Enfin, les géants de l’électromén­ager envisagent d’en équiper fours et réfrigérat­eurs.

Le papillon et le poisson, experts en énergie renouvelab­le

Le morpho fascine les physiciens par sa capacité à survivre dans des températur­es extrêmes. La structure et la compositio­n de ses ailes lui permettent en effet d’absorber la chaleur tant que son corps est en dessous de 40 °C et de la dissiper au-delà. Une telle stratégie est à l’étude pour améliorer le rendement des panneaux solaires et empêcher leur surchauffe.

Plus proches de l’industrial­isation, les hydrolienn­es du français Eel Energy s’inspirent du mouvement ondulatoir­e des poissons. Elles utilisent une membrane, au lieu d’une hélice, afin de capter l’énergie cinétique des courants et la transforme­r en électricit­é. «Depuis notre création en 2013, notre prototype a connu de nombreuses améliorati­ons, détaille Franck Sylvain, PDG de Eel Energy. Nous le testons actuelleme­nt dans un canal des Hauts-de-France avant de l’installer en mer. Par rapport à l’éolien ou au solaire, notre avantage est de fournir de l’électricit­é en continu. » Rendez-vous dans un an pour la mise sur le marché des premières hydrolienn­es à membrane!z

 ??  ??
 ??  ?? DU CHARDON AU VELCRO
L’idée du scratch est venue à son inventeur en essayant d’ôter des chardons de ses habits.
DU CHARDON AU VELCRO L’idée du scratch est venue à son inventeur en essayant d’ôter des chardons de ses habits.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? LE ROBOT FOURMI
AntBot (ci-dessous) s’est inspiré d’une espèce de fourmi du désert, qui se repère dans l’espace en regardant le soleil et en analysant ses pas pour se déplacer sans GPS.
LE ROBOT FOURMI AntBot (ci-dessous) s’est inspiré d’une espèce de fourmi du désert, qui se repère dans l’espace en regardant le soleil et en analysant ses pas pour se déplacer sans GPS.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? MAMMAMAART/ISTOCK
UN ITINÉRAIRE DE FOURMIS
L’appli routière Waze s’inspire de l’insecte, qui envoie des éclaireurs pour trouver le meilleur trajet vers l’objectif du groupe.
MAMMAMAART/ISTOCK UN ITINÉRAIRE DE FOURMIS L’appli routière Waze s’inspire de l’insecte, qui envoie des éclaireurs pour trouver le meilleur trajet vers l’objectif du groupe.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? IULIIA MOROZOVA/ISTOCK
IULIIA MOROZOVA/ISTOCK
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France