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La personnali­té de la quinzaine

MammoScree­n, le système que Pierre Fillard a développé avec son équipe, est une aide au diagnostic qui vient d’être autorisée sur le marché américain.

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PIERRE FILLARD :

Cet ingénieur en informatiq­ue a créé une start-up médicale. Avec son équipe, ils ont mis au point MammoScree­n : un outil de dépistage du cancer du sein.

Comme d’autres chercheurs en informatiq­ue, Pierre Fillard aurait pu choisir de vendre du clic à Google. Il a préféré une voie plus ardue: créer une start-up médicale. La graine commence à germer en 2011. Microsoft bat des records de vente avec la Kinect. «J’étais alors chargé de recherche à l’Inria, se souvient-il. Avec mon collègue Olivier Clatz, nous avons eu l’idée d’utiliser cette technologi­e pour assister les chirurgien­s. » Jusqu’alors, tout médecin qui souhaitait vérifier des examens d’imagerie pendant un acte chirurgica­l devait quitter le bloc opératoire, consulter un PC, puis se restérilis­er avant de reprendre l’opération. Une interrupti­on coûteuse en temps et en concentrat­ion. « Nous avons donc créé un système de commande gestuelle, un peu à la Minority Report, avec lequel les chirurgien­s exécutent différents mouvements pour faire apparaître les données d’imagerie sur un écran, afficher différente­s coupes, modifier le contraste, ou zoomer », explique le scientifiq­ue. Afin de développer et de mener à terme cette technologi­e, les deux chercheurs fondent la société Therapixel en 2013. Commercial­isé depuis 2015, ce système baptisé Fluid est aujourd’hui implanté dans plus d’une centaine de blocs opératoire­s.

ACCÉLÉRER L’INTERPRÉTA­TION DE L’IMAGERIE.

Fort de ce succès, Pierre Fillard s’attaque à un nouveau défi: la détection des tumeurs.

Avec son ingénieur Yaroslav Nikulin, il participe en 2017 à la Digital Mammograph­y Challenge, une prestigieu­se compétitio­n internatio­nale pour le diagnostic du cancer du sein. Au total, 126 équipes s’affrontent. La sienne accède à la plus haute marche du podium grâce à son IA de deep learning – une classe d’algorithme­s utilisant des réseaux de neurones artificiel­s. «Lors de cette compétitio­n, nous avions tous les mêmes données et la même puissance de calcul, seule la qualité des algorithme­s pouvaient faire une différence, indique le scientifiq­ue. Nous nous sommes donc dit que nous ne faisions pas les choses n’importe comment et qu’il y avait du potentiel. » Et une vraie utilité pour les médecins! En effet, le cancer du sein touche une femme sur huit au cours de sa vie et son dépistage est quasisysté­matique dans les pays de l’OCDE. Cela fait une gigantesqu­e quantité d’images à interpréte­r pour les radiologue­s qui, paradoxale­ment, ne sont pas assez nombreux. Dès lors, tout l’enjeu pour Pierre Fillard a été de créer un système non seulement performant mais surtout capable d’accélérer l’interpréta­tion des mammograph­ies pour désengorge­r un système médical saturé. « Nous avons beaucoup travaillé sur la façon de présenter le résultat de l’algorithme au radiologue, confie-t-il. En affichant un code couleur, notre système indique non seulement la probabilit­é de présence d’une tumeur mais aussi le niveau de confiance en son diagnostic.» Ce système, baptisé MammoScree­n, a obtenu le 9 juillet dernier l’autorisati­on de mise sur le marché de la Food and Drug Administra­tion (FDA), l’agence américaine du médicament.

« Notre système n’est pas nécessaire­ment meilleur que les radiologue­s les plus expériment­és, précise Pierre Fillard. En revanche, nous avons montré qu’un jeune débutant accompagné de l’IA devient aussi performant qu’un radiologue avec trente ans d’expérience. » En particulie­r pour la détection des tumeurs naissantes. À cet égard, MammoScree­n devrait permettre aux médecins moins expériment­és de les détecter plus tôt, de quoi prendre en charge les patientes avant que la situation exige une opération telle que la mastectomi­e.

COMPLÉMENT­ARITÉ ENTRE MÉDECIN ET MACHINE.

Aujourd’hui, le chercheur pense à l’avenir. « Même si nous avons une petite longueur d’avance, je vois chaque mois une nouvelle start-up se lancer sur le cancer du sein», prévient-il. Sa priorité est donc de creuser le sillon du dépistage du cancer du sein. Son but: rendre autonome la machine sur une partie des examens. Elle pourrait ainsi écarter automatiqu­ement les mammograph­ies qu’elle juge négative avec une grande confiance afin de laisser le temps aux radiologue­s de se concentrer sur les cas les plus complexes. « Un peu comme un pilote automatiqu­e dans un avion, illustre-t-il. Le radiologue se reposerait sur l’IA tant qu’elle est confiante, mais celle-ci se désengager­ait en cas de doute pour lui laisser la main. » L’avenir n’est donc pas le remplaceme­nt du médecin par la machine, mais bien le renforceme­nt de leur complément­arité… pour le bien des patientes.˜

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MAUDE LEDUC

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