Comment on se déplace
D’ici à dix ans, les compagnies maritimes devront émettre 40 % de CO2 en moins. Un défi insurmontable ? Pas si elles utilisent le vent.
- Le premier cargo à voiles français reliera bientôt la France et les États-Unis.
Et si on coupait le moteur et revenait à la voile pour le transport de marchandises? Une idée pas si saugrenue à l’heure du réchauffement climatique. Le constructeur automobile Renault, le numéro un mondial du nautisme Beneteau et le numéro un mondial des engins de manutention Manitou devraient, à partir de 2023, expédier leurs produits vers le continent américain à bord d’un… quatre-mâts!
Il n’est pas question de ressortir d’un musée maritime un vieux gréement, mais de naviguer à bord du premier cargo à voile imaginé par Neoline, une start-up nantaise fondée par neuf anciens commandants de la marine marchande. Ce type de bâtiment permettrait d’économiser jusqu’à 90% la consommation de fioul par rapport à un navire roulier classique. «Le vent a toujours été l’allié des marins, rappelle
Jean Zanuttini, président et cofondateur de Neoline. Mais les accidents liés aux tempêtes ou les retards dus à l’absence de vent ont eu raison des bateaux à voile, supplantés à la fin du XIXe siècle par les navires à vapeur puis, plus tard, par les cargos à fuel. »
Aujourd’hui, la technologie supprime les incertitudes météo, «à quinze jours près ». Ce savoir-faire, assez récent, est issu du monde de la course au large, notamment du Vendée Globe. «Un navigateur qui part des Sables-d’Olonne (Vendée) est désormais en mesure de dire, à quelques heures près, quel jour il croisera le cap de Bonne-Espérance, pourtant distant de 12 000 km ! », glisse le président de Neoline.
Le navirepilote, baptisé Neoliner, est un bâtiment de 136 mètres de long capable d’accueillir à son bord quatorze membres d’équipage
MONSTRE DES MERS TRÈS SOUPLE.
et douze passagers. Il peut transporter dans sa soute jusqu’à 5000 tonnes de fret, soit 280 containers ou l’équivalent de 500 voitures. Et son architecture lui confère un immense avantage par rapport à des cargos de mêmes dimensions: sa cale affiche une hauteur de 9,8 mètres, ce qui permettrait à Beneteau d’embarquer ses voiliers pour le marché américain sans devoir les démonter.
Pour naviguer, Neoliner dispose de mâts en duplex, à savoir deux fois deux mâts parallèles avec un foc et une grandvoile sur chacun, soit huit voiles au total. La superficie de ces dernières, dont la matière n’est pas encore arrêtée, couvre une superficie de 4200 m², ce qui représente la moitié d’un terrain de football. Mais, pour faciliter l’accès aux zones portuaires, les mâts peuvent se replier comme le pantographe d’un train. De plus, l’équipage n’aura pas à affaler les voiles comme c’est en général le cas sur
les voiliers. «Elles se pilotent via des grues et des vérins électriques du poste de commande », explique Jean Zanuttini.
Le cargo à voile est tout de même équipé d’un moteur hybride diesel et électrique de 4000 kilowatts. « Il sera principalement utilisé pour les manoeuvres portuaires, la production d’électricité à bord et lorsque le vent viendra à manquer, afin de respecter les délais », poursuit le dirigeant. Pour que le bilan carbone soit le plus vertueux possible, ce moteur fonctionnera toutefois avec du gazole comme celui des voitures et non pas avec du fuel lourd, l’un des carburants les plus polluants au monde.
Neoliner reliera Saint-Nazaire, en Loire-Atlantique, à Baltimore (ÉtatsUnis), port d’attache à l’exportation américaine de Beneteau et Manitou, premiers clients de la jeune compagnie maritime. La ligne passera par Saint-Pierre-et-Miquelon, pour décharger les véhicules Renault, et Halifax au Canada. Il fera la traversée en douze jours, sa vitesse d’exploitation étant seulement de 11 noeuds (20 km/h), contre huit jours pour un cargo classique de 15 noeuds (28 km/h). «La perte de temps est compensée par une réduction considérable de carburant consommé, souligne Jean Zanuttini. Sur un voyage, le Neoliner consommera seulement 34 tonnes de carburant, contre 120 tonnes pour un cargo qui naviguerait à la même vitesse, et 230 tonnes pour un roulier actuel à la vitesse commerciale de 15 noeuds. Les voiles feront avancer le bateau pendant 70% de la traversée.»
PREMIER CARGO EN CHANTIER EN 2021. Le projet a pris un an de retard principalement pour des raisons économiques, la pandémie de Covid-19 étant passée par là. «Sur un budget d’environ cent millions d’euros, il manque encore près de 6 % du financement», soulève le cofondateur. Mais il se veut confiant, soutenu par les signatures de sociétés prêtes à exporter leurs produits via ce navire écologique.
La mise en chantier du cargo à voile est prévue l’année prochaine; il sera assemblé à Saint-Nazaire et la première rotation entre les deux continents est annoncée à l’été 2023. Un second bâtiment sera construit dans la foulée afin d’assurer un départ vers Baltimore deux fois par mois. Hissez la voile, moussaillon!