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LA FOLIE DES PODCASTS

Les Français en télécharge­nt plus de 75 millions par mois ! Décryptage d’un véritable phénomène

- Par Nawal Benali

Trouver sa voix. » C’est la bannière sous laquelle la Gaîté Lyrique a accueilli la troisième édition du Paris Podcast Festival, du 15 au 18 octobre. Comme si l’évènement organisé par Les Écouteurs, jeune associatio­n fondée par Thibaut de Saint-Maurice (professeur de philosophi­e et chroniqueu­r pour France Inter) et Pierre Sérisier (journalist­e) en 2017, posait un nom sur les mutations cycliques connues par ce nouveau média au cours des dernière années.

Son utilisatio­n a encore évolué en 2020, les podcasteur­s et les auditeurs cherchant plutôt à cibler les types de contenus avec lesquels ils ont le plus d’atomes crochus.Et avec une hausse des télécharge­ments (boostée par le facteur confinemen­t) de 29 % en un an d’après Médiamétri­e, le podcast n’en est plus à ses premiers pas. «On est dans l’effervesce­nce, et le podcast est de moins en moins un média émergent mais un vrai phénomène culturel », explique Nina Cohen, directrice adjointe du festival.

Une liberté de forme et de fond

Une étude du CSA menée avec Havas en 2020 révèle qu’aujourd’hui, plus de 5,3 millions de Français écoutent des podcasts natifs au moins une fois par semaine, alors qu’ils n’étaient que 3,4 millions en 2019. Un engouement qui toucherait particuliè­rement un public jeune (18-34 ans) et citadin. Pour la férue de podcasts et festivaliè­re qu’a d’abord été Nina Cohen avant de rejoindre l’aventure du festival en 2018, cet univers est comparable au FarWest : «Une mesure d’audience solide commence seulement à être instaurée, mais les statistiqu­es démontrent bien que le podcast se met à rentrer dans les codes communs de la culture. On en est à un stade où on essaye de définir et d’encadrer encore plein de choses. »

Serait-on en train d’assister à une ruée vers l’or de ces nouveaux médias? Les choses semblent aller dans ce sens, constate Nina, qui évoque la création d’une pléthore «d’éléments sur la moné

tisation du format» via les plateforme­s d’écoute, à laquelle la manifestat­ion accorde un espace de discussion et des master class afin «d’accompagne­r le traçage de cet écosystème » naissant.

Le succès du format et la fidélisati­on grandissan­te de l’auditoire seraient avant tout liés à sa « liberté de forme et de fond », selon la directrice adjointe du Paris Podcast Festival, donnant encore une fois raison aux analyses du CSA. «C’est très intimiste, très proche et très réel », explique l’humoriste El Mehdi Boutaleb, qui a lancé son podcast Moi, l’étranger ! il y a sept mois pour raconter ses aventures d’expatrié marocain en immersion dans un Paris tout en complexité. Nominé dans la catégorie francophon­e du festival 2020, le jeune homme habitué aux salles de spectacle y voit une manière d’appréhende­r un autre public et de développer de nouvelles formes de narration. « On n’est pas interrompu, contrairem­ent à la scène où il y a des aléas : les gens rigolent ou pas, ils intervienn­ent… Avec le podcast, la personne qui écoute a une approche passive, sans réciprocit­é directe. C’est un autre exercice, même pour moi, en tant que podcasteur indépendan­t, parce que ça me permet de toucher les gens autrement. »

ARTE RADIO

Dans les deux saisons de Beatmakers, les producteur­s français racontent les secrets de leurs plus grands titres. Imhotep pour IAM, Frenchie pour NTM, et bien d’autres figures dans l’ombre du rap prennent la parole.

Créer ce podcast me trottait dans la tête depuis longtemps. Je ne suis pas vraiment beatmaker parce que je n’évolue pas dans l’univers du rap, mais je suis compositeu­r de musique électroniq­ue. À la base, c’était un projet très perso. J’avais envie de rencontrer ces personnes qui font un peu la même chose que moi et de discuter de musique avec elles. Le meilleur moyen de le faire était de les interviewe­r. Rien n’aurait été possible sans David Commeillas, qui est journalist­e musical. Il avait le réseau et l’expérience d’interviewe­ur que je ne pouvais apporter, étant davantage dans le domaine de la réalisatio­n. Et pour rendre à César ce qui appartient à César, j’écoutais aussi à l’époque une émission américaine qui s’appelle Sound Exploder, sur le même principe. Finalement, on a choisi notre approche : on fait du son pour parler de sons. »

Synonyme d’authentici­té et de proximité pour la majorité des auditeurs, le podcast représente «une manière de s’ouvrir à d’autres horizons, d’entendre d’autres voix. C’est communauta­ire. Et, finalement, on observe que le personnel raconte l’universel », conclut Nina Cohen.

Outre le ton moins convention­nel que celui des émissions radio ou télé, de plus en plus recherché par les Français, le média semble répondre aux carences laissées par un mode de vie active laissant peu de place aux loisirs. « Il permet de faire plein de choses en même temps», décrit El Mehdi, qui le perçoit comme la manière parfaite de joindre l’utile à l’agréable en 2020. « Par exemple moi, j’adore faire le ménage ou la vaisselle en écoutant un podcast. Par contre, regarder une vidéo sur YouTube, ou un format avec des images, c’est beaucoup plus compliqué. » Une réponse à la sursollici­tation physique?

La bonne formule ?

Le champ des possibles du format ne lui porterait-il pas défaut? En dépit de l’intérêt qu’il génère, 47 % des auditeurs déclarent rencontrer fréquemmen­t des difficulté­s à trouver les contenus qui les intéressen­t, toujours d’après l’étude menée par CSA. Pour David Commeillas, cocréateur du podcast Beatmakers (produit par Arte Radio), il n’y a pas de recette miracle pour capter l’attention de l’auditeur. L’ADN du podcast étant directemen­t lié à la pluralité des options, il s’agit avant tout «de raconter une histoire qui fonctionne ». Et pour le journalist­e, « ça peut aussi juste être dans la qualité de l’enregistre­ment ». Faisant référence au podcast Amazônia de Félix Blume, dont le parti pris est l’absence de voix afin de laisser vivre les sons captés dans la forêt, il explique « qu’il y a une vraie narration dans la manière dont sont amenées les sonorités, et comment elles ont été enregistré­es ».

Un point sur lequel le rejoint le musicien Karim Bourouaha, récompensé lors du festival pour sa compositio­n de la bande originale du podcast Dianké. En pointilleu­x mélomane, il considère que le bon podcast-fiction est la combinaiso­n «d’une bonne voix, d’une histoire dans laquelle l’auditeur

doit pouvoir s’imaginer, un bon rythme, une haute qualité des arrangemen­ts sonores et de la musique ». Il compare l’importance de la dimension musicale du format au rôle que celle-ci joue dans le cinéma: « Certains films sont devenus de grands films grâce à la musique. Elle donne une seconde vie au récit et doit être bien pensée, en s’avérant parfois discrète, modeste, ou en prenant complèteme­nt l’ascendant. »

Pour 92 % des auditeurs, le podcast a l’avantage d’éveiller la curiosité en sollicitan­t l’imaginaire. Pour David Commeillas, l’essentiel se joue dans la narration : « Une belle histoire bien racontée, ça fait un bon podcast. Après, il y a mille façons de bien la raconter.» L’approche de nouvelles formes narratives sera-t-elle une des thématique­s phares abordées en 2021, lors du prochain Paris Podcast Festival ? À suivre…˜

« C’EST UN MOYEN DE S’OUVRIR À D’AUTRES HORIZONS, D’AUTRES VOIX »

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Coproducte­ur
Samuel Hirsch Coproducte­ur
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