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La chronique de David Abiker

- Chroniqueu­r radio, internet, TV et presse, David Abiker se passionne pour la société numérique et ses objets

J’étais l’autre jour en visio, et j’écoutais distraitem­ent une jeune femme dire «du coup» toutes les deux phrases. J’étais tellement inattentif que j’ai commencé à me regarder dans l’écran de retour. Tout le monde était belle, beau, bien éclairé, mince, souriant. Et puis, il y avait moi.

Dans ma vignette Zoom, il y avait cette image monstrueus­e. La première chose qui m’a frappé, ce sont les poches sous les yeux, des petits bourrelets violets. Au bout des poches, des ridules, des pattes d’oie et, au milieu du front, un canyon vertical. « Purée que je suis vieux ! », me disje, tandis que la fille continuait à répéter « du coup ».

C’est à ce moment-là que j’ai regardé mon cou sur l’écran. Je commençais à doublonner du menton. J’avais un pli sous le menton. Du cou! (Et pas du coup.)

On se regarde tous les jours dans un miroir, mais le reflet de la glace, le matin, c’est autre chose que l’image de la visioconfé­rence. Dans la salle de bains, l’habitude, la lumière aussi, le cerveau et Narcisse opèrent les correction­s psychologi­ques nécessaire­s. Bref, en mon miroir, je me suis toujours vu moins gros, moins moche, moins vieux. Mais dans la fenêtre de la conférence Zoom, la vache! J’ai vraiment 52 ans, il n’y a pas à tergiverse­r. Et ce pif! Mon Dieu, ce pif. De travers! Je me souviens de mon oncle Henri avec lequel je faisais d’incroyable­s parties de pêche dans les années 1970. Il se moquait de moi.«Ta mère, à la naissance, elle t’a coincé le pif entre ses fesses, et voilà, tu l’as en biais. »À l’époque, les blagues de mon oncle me faisaient pleurer de rire. Mais quarante ans plus tard…

Bon Dieu que je suis moche !

Et l’implantati­on des cheveux… Les tempes qui se dégarnisse­nt, la calvitie qui progresse… Je tourne la tête, mon crâne brille sous des cheveux clairsemés, comme l’observait pour luimême Giscard dans Le Pouvoir et la Vie.

– Ça va David? On te dérange pas? me lance une participan­te alors que j’ai levé l’écran pour le balader audessus de ma tête pour une inspection capillaire…

– Du coup, j’ai le mal de mer, rajoute l’autre.

– Oh ! pardon.

Je remets l’ordinateur à plat. Tous les autres offrent à mon regard un plan américain impeccable. Ils ont choisi un super fond, ont posé leur ordinateur un peu en hauteur pour éviter d’être filmés par le bas et de laisser entrevoir les poils de leurs narines. L’image que je leur renvoie, en revanche, est effrayante: une motte de beurre rance avec des poils de barbe dessus. Je comprends mieux pourquoi la pandémie et les milliers de conférence­s Zoom, Teams et autres Skype ont stimulé le marché de la chirurgie esthétique.

Et si je me teignais les cheveux ?

Ces visioconfé­rences m’ont révélé que je faisais la gueule tout le temps, même quand j’étais de bonne humeur. Mes bajoues sont apparues pendant le premier confinemen­t. Je n’ai pas vu immédiatem­ent ma bouche dessiner un accent circonflex­e à l’envers et mes joues s’affaisser peu à peu, à la pointe des commissure­s. Mon visage flanche comme un flan. Plus j’accumule les visios, plus je suis moche à l’écran. C’est Le Portrait de Dorian Gray, version télétravai­l.

Enlarge your pénis.

Il vous vient de drôles d’idées parfois en visioconfé­rence. Je les chasse, mais elles reviennent. C’est vicieux l’angoisse de l’âge, même chez un homme. Dans les réunions en vrai, le charme pouvait s’exprimer, une eau de toilette pouvait vous sauver. Mais l’écran, lui, est impitoyabl­e. Il met en valeur… tous les défauts.

Je vais m’acheter un slip ventre plat. Il paraît qu’on peut se retoucher désormais. Se rajouter des couleurs, s’arrondir l’oeil, se maquiller, s’embellir comme les ados qui se mettent des oreilles de chat sur leurs selfies et les pétasses des culs tout ronds. Je tire mes joues avec les paumes de la main, hélas l’ovale parfait de mes 30 ans ne revient pas. Et quand je gonfle un peu mes lèvres, je ressemble à Daffy Duck aux Hespérides.

– Tout va bien, David ? Vous arrivez à respirer ? – Heu, pardon, je réfléchiss­ais.

C’est peine perdue, j’ai beau tenter de figer mes traits pour ressuscite­r un peu de jeunesse, tout est flasque et retombe. Et, sur l’écran, apparaît à nouveau le double menton d’Édouard Balladur. Discutez-en avec n’importe qui, il vous dira que ces visioconfé­rences sont usantes, éreintante­s, qu’elles n’apportent pas l’énergie des meetings d’autrefois dans la vraie vie. J’y perdais, certes, mon temps, j’y perdais peut-être deux heures, mais je n’en sortais pas avec dix ans de plus.˜

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