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LA HAINE EN LIGNE : de nouvelles lois, pour quoi faire ?

Le gouverneme­nt revient à la charge contre les réseaux sociaux, accusés de laisser volontaire­ment se propager les contenus haineux. Mais les textes de loi votés récemment ne convainque­nt pas les victimes et leurs défenseurs.

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Quatre-vingt-dix-sept voix pour, dix contre, neuf abstention­s. Mercredi 10 février, les députés ont adopté l’article 18, dit « Samuel Paty », du projet de loi contre le séparatism­e, ou « confortant le respect des principes de la République », selon sa dénominati­on exacte. Sa promulgati­on, prévue le mois prochain, créera un nouveau délit de mise en danger de la vie d’autrui par la divulgatio­n de données personnell­es. Concrèteme­nt, « le fait de révéler, diffuser ou transmettr­e, par quelque moyen que ce soit, des informatio­ns relatives à la vie privée, familiale ou profession­nelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser, dans le but de l’exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque direct d’atteinte à la vie ou à la personne, ou aux biens, [sera] puni de trois ans d’emprisonne­ment et 45 000 euros d’amende ». Une dispositio­n qui vise donc à éviter que ne se reproduise la mécanique infernale dont a été victime le professeur assassiné le 16 octobre dernier. Pour mémoire, après un cours de Samuel Paty à une classe de quatrième sur la liberté d’expression, le père d’une de ses élèves avait lancé sur Facebook un virulent appel à la protestati­on, livrant publiqueme­nt le nom de l’enseignant, son numéro de mobile et l’adresse de son collège. Avec les conséquenc­es que l’on connaît.

Le grand retour de la loi Avia

Cent soixante-quinze voix pour, dix-sept abstention­s. Mercredi 10 février toujours, l’adoption de l’article 19 doit, lui, permettre d’exiger des hébergeurs, fournisseu­rs d’accès à internet et moteurs de recherche de bloquer l’accès non seulement aux sites haineux, mais également à leurs sites miroirs, c’est-à-dire à tous ceux qui en reproduise­nt le contenu. En cela, cet article reprend une dispositio­n évoquée par Cédric O au lendemain de l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine. Dans un billet publié sur Medium, le secrétaire d’État chargé de la Transition numérique indiquait alors travailler avec le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, « à réintrodui­re dans la loi sur le séparatism­e une dispositio­n qui permette au juge de bloquer non seulement un site donné, mais également l’ensemble de ses réminiscen­ces, quels que soient les noms ou extensions sous lesquels il réapparaît ».

Quatre-vingt-dix-huit voix pour, deux contre, vingt et une abstention­s. Jeudi 11 février, les députés adoptent cette fois un amendement, devenant l’article 19 bis de la loi, qui reprend les grandes lignes du Digital Services Act. Car d’ici deux ans, en principe, c’est ce nouveau règlement européen qui encadrera la modération des plateforme­s en ligne. Mais en attendant, l’article 19 bis entend, lui, prendre les devants. D’abord en imposant aux réseaux sociaux de rendre compte publiqueme­nt des moyens mis en oeuvre pour lutter contre la diffusion des contenus illicites, selon des modalités fixées par le Conseil supérieur de l’audiovisue­l (CSA). Ensuite, en les astreignan­t au traitement de leurs signalemen­ts. Notamment en informant leurs émetteurs « des suites qui y sont données ainsi que des voies de recours internes et judiciaire­s ». Enfin, les plateforme­s devront disposer en France d’un représenta­nt légal, interlocut­eur privilégié des forces de l’ordre, de la justice et des pouvoirs publics, pour accuser réception « sans délai » des demandes d’identifica­tion d’auteurs de contenus illicites.

« Nous avons achevé la discussion des articles du projet de loi. » Samedi 13 février, 13 heures. Annie Genevard, vice-présidente de l’Assemblée nationale, clôture les débats et lève la séance. Sur les bancs de l’Hémicycle, la députée Laetitia Avia peut se féliciter, et elle ne manque pas de le faire… sur Twitter. Ces nouveaux textes réintrodui­sent des éléments-clés de sa loi contre les contenus haineux, largement censurée huit mois plus tôt par le Conseil constituti­onnel. Mais qu’en disent les principaux intéressés? En l’occurrence, les victimes de la haine en ligne. Celles, nombreuses, qui, contrairem­ent à Samuel Paty, sont encore là pour en parler.

Des victimes pour le moins sceptiques

« On a affaire à des superplate­formes, j’ai donc tendance à penser que l’échelle nationale n’est pas la bonne pour régler ces questions », répond déjà le journalist­e Nicolas Hénin. Et son expérience sème effectivem­ent le doute. Il y a maintenant deux ans, l’ancien reporter et otage de Daech a dû faire face à un déferlemen­t de haine sur Twitter. Pour avoir signalé, à l’époque, le compte de Patrick Jardin, le père d’une victime de l’attentat du Bataclan, qui appelait à fusiller les djihadiste­s français détenus par les Kurdes et à tuer aussi leurs enfants. Ce signalemen­t va lui valoir près de 20000 tweets d’une extrême violence : « C’est lui qui mérite l’exécution », « J’appelle à ce que vous vous fassiez égorger », « Je lui souhaite la même fin que les victimes de Daech »… Une plainte est déposée. Twitter fait mine de coopérer, puis cesse subitement de répondre aux injonction­s de la police. Résultat, les poursuites s’arrêtent là. « Faute d’avoir qui que ce soit à poursuivre, puisqu’il fallait des informatio­ns techniques pour authentifi­er les comptes », précise Nicolas Hénin. Alors que, sur son site, Twitter affirme appliquer « une politique de tolérance zéro en ce qui concerne les menaces violentes ».

Pour Aurélia Gilbert, autre victime de menaces en ligne et de cyberharcè­lement, « c’est un mal français de vouloir légiférer à chaque fois qu’il y a un problème. Il vaudrait mieux, d’abord, donner les moyens à la justice de travailler avec les lois existantes ». Rappelons, en effet, que l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique impose déjà aux plateforme­s en ligne de conserver les données permettant l’identifica­tion des auteurs de propos délictueux et de les communique­r à la demande des autorités judiciaire­s.

Mais le fait est que l’histoire d’Aurélia Gilbert interroge. Au mois de juillet dernier, cette rescapée du Bataclan poste un tweet dans lequel elle exprime son souhait de voir rapatriés les enfants de djihadiste­s français des camps syriens et irakiens. « Peu de temps après, je me suis retrouvée mentionnée et insultée dans des dizaines de messages très violents, avec des incitation­s et des appels à la haine », racontet-elle. Surtout, son compte Twitter est piraté et quelqu’un y affiche son numéro de mobile accompagné du message : « Je suis un traître à ma patrie. »

Ici encore, une plainte est déposée, au mois d’août. Le procureur de la République ordonne une enquête mais, cinq mois plus tard, Aurélia Gilbert reçoit un courrier lui indiquant que celle-ci « n’a pas permis d’identifier les titulaires des trois comptes Twitter auteurs des délits d’injure publique et d’apologie du terrorisme, et [qu’il] n’a pas été davantage possible d’identifier les titulaires des adresses IP communiqué­es et déterminée­s par

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