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DE NOMBREUX AVANTAGES MAIS ÉGALEMENT DES CONTRAINTE­S

Plus facile à gérer, plus rentable, moins falsifiabl­e, l’identité numérique nous rendra aussi plus traçables par les services gouverneme­ntaux.

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Les cinéphiles se souviennen­t du (2) film de 1982 avec Gérard Depardieu et Nathalie Baye. L’histoire? Un homme qui prend la place d’un autre pendant huit ans, bernant sa femme et les villageois d’Artigat, près de Toulouse. L’usurpateur sera condamné à mort.

Des démarches administra­tives très lourdes

Si la justice n’est plus aussi radicale, la fraude à l’identité numérique a augmenté de 4,1 % dans le monde entre 2018 et 2019, et de 5,8 % d’octobre 2019 à octobre 2020 (3). La dématérial­isation de l’économie et la crise sanitaire actuelle, qui a engendré davantage de télétravai­l, en sont les causes principale­s. Le rapport constate également que les techniques de fraude sont de plus en plus sophistiqu­ées, et bon nombre d’usagers n’y sont pas préparés. Jérôme Bertin, directeur général de France Victimes, fédération regroupant 130 associatio­ns d’aide aux victimes, assure : « L’usurpation a toujours existé. La différence, c’est qu’elle passe par le numérique et qu’elle utilise les faiblesses des sites ou des personnes, non formées ou pas assez outillées pour réagir. De plus, on est tous moins vigilant car on a des comptes et des mots de passe partout. »

Les problèmes diffèrent d’une victime à l’autre, de la simple usurpation à l’utilisatio­n de fausses identités pour lui extirper de l’argent, l’accès à ses comptes ou encore des informatio­ns. Et dans de nombreux cas, la suite des événements peut s’avérer grave. « Aujourd’hui, beaucoup de formalités passent par le numérique, commente Jérôme Bertin. Lorsqu’elles subissent la remise à zéro de l’ensemble de leurs comptes bancaires et de leurs mots de passe, par exemple, les victimes se retrouvent aussi aux prises avec des démarches administra­tives très lourdes. Se faire voler son identité numérique, cela implique aussi de la reconstrui­re, ce qui engendre des difficulté­s financière­s importante­s. S’il y a des prises en charge, il reste des franchises, des sommes que l’on n’arrive pas à rembourser. Sans oublier les conséquenc­es psychologi­ques générées. Comme on se croit en sécurité, il est rare que l’on change régulièrem­ent nos mots de passe. Nous faisons assez confiance aux sites marchands pour leur laisser nos numéros de carte bancaire. »

Suis-je la personne que je dis être ?

Avant de poursuivre, mettons-nous d’accord sur ce que représente l’identité numérique. C’est une gageure car dans ce tiroir fourre-tout, chaque spécialist­e se targue de sa propre définition. Voici celle de Marietta Karamanli, députée et présidente du rapport parlementa­ire sur l’identité numérique : « Il y a deux définition­s possibles de l’identité numérique. La première, subjective, renvoie à l’ensemble des traces numériques laissées par un individu dans l’espace numérique. La seconde, plus objective, correspond à la déclinaiso­n du titre d’identité physique dans le monde numérique. Il s’agit alors de permettre au citoyen de disposer dans l’espace numérique du moyen de justifier de son identité pour sécuriser ses interactio­ns avec les administra­tions et les fournisseu­rs de services. »

Aujourd’hui l’identité numérique est davantage associée aux sociétés privées, selon le Conseil national du numérique dans son rapport Identités numériques de juin 2020. Or, l’identi

« Se faire voler son idendité, cela implique aussi de la reconstrui­re »

Jérôme Bertin, directeur général de l’associatio­n France Victimes.

fication (qui suis-je?) et l’authentifi­cation (suis-je la personne que je dis être?) des services de ces sociétés restent faibles si l’on en juge par les innombrabl­es et quotidienn­es fuites de données qui finissent dans le dark web. Les pouvoirs publics agissent afin d’établir une identité numérique garantie par l’État en arguant, notamment, de plus de protection des données personnell­es. Est-ce inéluctabl­e ?

Déjà, l’identité sur papier apparaît de plus en plus facile à falsifier. Kristel Teyras, responsabl­e des services d’identité numérique chez Thales, explique : « La fraude aux documents d’identité physique augmente car les techniques d’impression sont de haut niveau. Il est ainsi difficile pour un policier ou un banquier de détecter à l’oeil nu un vrai d’un faux document. Même les experts ont désormais besoin de quelques minutes. »

Les vols de papiers d’identité peuvent donc aussi avoir des conséquenc­es extrêmemen­t néfastes pour les victimes.

Enrick, chaudronni­er-soudeur de 28 ans, en fait les frais depuis cinq ans. Quelqu’un lui a subtilisé son portefeuil­le alors qu’il se rendait sur son lieu de travail, à La Défense (Hauts-deSeine). « En se munissant de ma pièce d’identité, les voleurs ont ouvert dans la foulée des comptes bancaires et contracté des crédits à la consommati­on, témoigne le jeune homme. Ils ont aussi fabriqué des fausses fiches de paie et justificat­ifs de domicile. J’ai été fiché à la Banque de France, on m’a retiré ma carte bancaire. Au total, les usurpateur­s ont accumulé 68 000 euros de dettes en mon nom. » Abandon de projets personnels, temps passé à devoir sans cesse prouver son identité, visite d’huissiers, montage de dossiers juridiques en tous genres…

Du jour au lendemain, la vie d’Enrick est devenue extrêmemen­t difficile : « Je devais prendre un appartemen­t, mais j’ai été obligé de retourner dans un foyer de jeunes travailleu­rs. » Ce n’est que le 17 février dernier qu’il est enfin convoqué devant le tribunal de Créteil pour plaider sa cause. Son audition devant le juge n’a cependant rien donné. Sa seule chance, s’il en a eu une, est d’avoir porté plainte avant que les voyous n’ouvrent les comptes.

Cartes électroniq­ues nationales et biométrie

Pour contrer la hausse des usurpation­s d’identité, la France mise notamment sur sa nouvelle carte nationale d’identité électroniq­ue, octroyée dès cette année aux citoyens qui en feront la demande. Elle y a été obligée par le nouveau règlement

européen Eidas. On compte d’ailleurs déjà 40 millions de cartes d’identité électroniq­ue en Allemagne. C’est également un véritable coup de pouce pour nos champions nationaux de l’électroniq­ue, tels Thales/Gemalto, Atos ou Idemia… Des entreprise­s qui, réunies au sein de l’Alliance pour la confiance numérique, ne se privent pas d’user de lobbying afin d’aboutir à une identité numérique pour tous les Français. Elles se heurtent néanmoins aux critiques et aux dépôts de plaintes de plusieurs associatio­ns. La Quadrature du net, en particulie­r, ne veut surtout pas entendre parler de reconnaiss­ance faciale, jugée liberticid­e et comme le corollaire d’une société de surveillan­ce. Mais les arguments économique­s risquent de l’emporter.

Selon un rapport de McKinsey, société de conseil américaine, l’économie de l’identité numérique représente­ra 6 % du PIB des pays émergents et 3 % de celui des pays développés en 2030. « En effectuant leurs démarches administra­tives en ligne, les entreprise­s engendrero­nt une économie plus agile, argumente Kristel Teyras. Une transactio­n sur le web est bien plus rapide qu’une transactio­n en face à face, qui implique de se déplacer, de patienter… De même, c’est beaucoup plus facile de signer un contrat numériquem­ent. L’identité digitale amènera plus de compétitiv­ité dans les pays qui l’adopteront. » À l’heure actuelle, la situation demeure cependant très contrastée, avec un monde à deux vitesses : 1,1 milliard de personnes vivent toujours sans aucune identité, ce qui favorise les trafics en tout genre.

Un constat à mettre en balance avec, par exemple, l’expérience pilote de Thales en Australie, où les citoyens décident de quelles données ils communique­nt et à qui. Kristel Teyras décrit le fonctionne­ment ce système qui sera étendu en juin de cette année, au plus tard, aux 3,7 millions d’habitants de l’État du Queensland : « Nous avons mis en place le Digital ID Wallet. Il contient différents types de documents digitalisé­s comme le permis de conduire, le permis bateau ou la carte d’identité. Le citoyen sélectionn­e le document qu’il souhaite partager et le cas d’usage. Par exemple : est-ce que je veux dévoiler mon document d’identité entièremen­t, ou juste prouver mon âge pour acheter une bouteille d’alcool? Ainsi le marchand saura que j’ai plus de 18 ans, mais en aucun cas où j’habite, mon nom ou ma date de naissance. » Une sorte d’identité numérique à la carte, en somme.

Une identité numérique mondiale d’ici à 2030

Même l’Afrique, le continent comportant proportion­nellement le plus de personnes sans identité (ni papier ni numérique), rattrape son retard, via des solutions d’identité reposant sur les téléphones. Car le marché des portables de seconde main y est très florissant. En Ouganda, par exemple, on peut acheter un mobile pour dix euros.

À marche forcée ou pas, le monde entier s’avance vers l’identité numérique. L’ONU préconise même une identité mondiale à l’horizon 2030. Sera-t-elle génératric­e ou fossoyeuse de liberté? Sera-t-elle plus sécurisée que sa devancière sur papier? Nous le saurons tôt ou tard, puisque nous n’y échapperon­s pas.z

(1) Les prénoms ont été modifiés. (2) Le Retour de Martin Guerre, de Daniel Vigne, sur un scénario de Jean-Claude Carrière. (3) Selon le « Identity Fraud Report 2020 » d’Onfido.

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Associés à des solutions biométriqu­es comme la reconnaiss­ance faciale, les dispositif­s d’identifica­tion numériques augmentero­nt la capacité des États à surveiller les citoyens.
unique Une identité numérique mieux gérer ses permettra de l’Administra­tion relations avec jongler avec et d’arrêter de et des mots des identifian­ts de passe différents. Associés à des solutions biométriqu­es comme la reconnaiss­ance faciale, les dispositif­s d’identifica­tion numériques augmentero­nt la capacité des États à surveiller les citoyens.

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