Le procès de l’antiterrorisme
Présentées en 2008 comme des « terroristes d’ultra-gauche », huit personnes sont jugées, à partir de ce mardi, pour la dégradation d’une ligne SNCF. La défense dénonce des irrégularités dans l’enquête.
L ’affaire du « groupe de Tarnac » est-elle l’illustration d’un fiasco politique et judiciaire? C’est ce que tenteront de démontrer à partir de ce mardi les huit prévenus renvoyés devant le tribunal correctionnel de Paris pour, notamment, la dégradation de lignes TGV en 2008. L’arrestation spectaculaire en Corrèze, le 11 novembre de cette même année, des membres de ce groupe d’extrême gauche a alimenté le spectre d’une mouvance anarchiste terroriste. Dix ans après, Julien Coupat – leader présumé – Yildune Lévy, Mathieu Burnel et cinq de leurs compagnons militants ont finalement échappé à la qualification terroriste. Une victoire partielle pour la défense qui dénonce des irrégularités dans l’enquête.
Le procès-verbal D104. Au moment des faits, les policiers de la sousdirection anti-terroriste (Sdat) suivent Yildune Lévy et Julien Coupat depuis plusieurs mois. L’enquête vise à surveiller les militants de Tarnac, suspectés d’appartenir à la mouvance « anarcho-autonome ». Un document issu de cette surveillance est, depuis le début de l’affaire, dans le viseur des avocats du couple : le procès-verbal D104. Rédigé par les policiers, il constitue l’un des piliers de l’accusation. La géolocalisation approximative, des temps de trajets incohérents et l’absence de preuves photographiques sèment rapidement le trouble. Pour l’avocate d’Yildune Lévy, Marie Dosé, ce P.-V. est une « construction a posteriori » : « On a refait une surveillance qui n’a pas existé. » Plusieurs fautes ont été reconnues par les enquêteurs « quant à la retranscription des horaires », précisent les juges d’instruction dans leur ordonnance de renvoi. Ce document devrait occuper une partie des débats.
Un témoin à charge écarté. C’est probablement le plus gros loupé de cette affaire. Pendant l’enquête, des policiers de la Sdat recueillent le témoignage sous X d’un éleveur proche du groupe installé dans le même village. Il présente Julien Coupat comme un « manipulateur » semblable au « gourou d’une secte », qui « n’a jamais caché qu’il faisait peu de cas de la vie humaine » et avait pour « objectif final (…) le renversement de l’Etat ». Mais, un an après, sa déposition s’effondre. En caméra cachée, il explique à des journalistes de TF1 que les policiers lui auraient extorqué ce récit. Les magistrats finissent par évacuer totalement cet élément du dossier.
La piste allemande, vite évacuée. Trois jours à peine après les sabotages, les enquêteurs reçoivent un renseignement du bureau Interpol en Allemagne. Un courrier posté depuis Hanovre et signé par des militants antinucléaires revendique les actions de sabotage afin de perturber le trafic ferroviaire en France et en Allemagne. Une thèse balayée par les Français qui rattacheront cet élément aux relations entretenues entre Julien Coupat et plusieurs militants allemands contestataires. Incompréhensible pour l’avocate Marie Dosé : « Depuis quand la revendication de dégradations n’est pas prise au sérieux? Cela donne le sentiment qu’on avait décidé, de toute façon, que c’était ce groupe-là et personne d’autre. »
Un drôle d’espion. L’affaire est-elle née grâce aux renseignements d’un mystérieux espion britannique? C’est la thèse soutenue par la défense. Pendant sept ans, Mark Kennedy, alias Mark Stone, a infiltré les différents réseaux écologistes et altermondialistes. Entre 2003 et 2007, il sera de toutes les manifestations, en Grèce, en Allemagne et en France, notamment auprès des militants de Tarnac. Démasqué en 2011, l’agent de Scotland Yard a-t-il servi l’accusation et dans quelle mesure? C’est ce qu’ont tenté de savoir les avocats des prévenus et ce, dès 2012. En vain, les services ayant en effet toujours opposé la « confidentialité » de ces informations.
« On a refait une surveillance qui n’a pas existé. » Marie Dosé, avocate de la prévenue Yildune Lévy. L’affaire est-elle née grâce aux renseignements d’un espion britannique ?