Des espèces s’incrustent
A l’image de l’écrevisse de Louisiane, les espèces invasives sont l’un des premiers facteurs de perte de biodiversité. La France commence à prendre la menace au sérieux.
«Lorsqu’on a connu un endroit avant et après que l’écrevisse de Louisiane s’y est installée, c’est assez spectaculaire. » Garde animateur au sein de la réserve naturelle des marais de Bruges, Stéphane Builles n’a pas de mot assez fort pour décrire l’impact désastreux de cette espèce sur son environnement. «C’est Attila», finit-il par lâcher… Ce crustacé, originaire des Etats-Unis comme son nom l’indique, et apparu dans l’ouest de la France dans les années 1990, cumule en effet toutes les propriétés faisant d’elle un prédateur redoutable pour son environnement direct. «Elle a de très importantes capacités de reproduction : un individu peut pondre entre 200 et 700 oeufs par ponte plusieurs fois par an, ce qui donne chez nous, par exemple, 1,5 à 2 tonnes d’écrevisses à l’hectare, soit potentiellement 5 à 10 par m2 ! »
Modification de l’écosystème
Elle est très résistante, même aux eaux polluées, et quand l’oxygène chute de manière importante dans son milieu, elle est capable de vivre à la surface. Vorace, elle se nourrit d’herbiers aquatiques, de larves et de petits poissons, contribuant à une chute considérable de population de nombreuses espèces – amphibiens, libellules – et à une modification profonde de son écosystème. Ainsi, les nénuphars des 50 ha de l’étang de Cousseau dans le Médoc ont disparu après qu’elle s’y est implantée.
Et ce n’est pas fini. « Elle est également porteuse d’un champignon microscopique qui tue l’écrevisse à pattes blanches, cette dernière se trouvant désormais en voie de raréfaction. Enfin, elle a un comportement terricole – elle s’abrite dans des terriers l’hiver – endommageant des ouvrages hydrauliques et augmentant la turbidité de l’eau…» Comme pour toute espèce invasive, il y a peu de moyens de lutte. Les pièges sélectifs sont peu efficaces et les plus classiques attrapent aussi d’autres espèces. Sa pêche est autorisée, mais il est interdit de la transporter vivante. Plus de vingt ans après son apparition en France, l’écrevisse de Louisiane se porte désormais « très bien » sur nos terres.
Ecrevisse d’Amérique, moustique tigre, renouée du Japon… Derrière ces noms exotiques se cachent des espèces végétales et animales qui causent de gros dégâts. Professeur et coordonnateur de la Stratégie nationale relative à ces espèces envahissantes, Serge Muller rappelle que des mesures ont fini par être prises.
Qu’est-ce qu’une espèce invasive?
L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) donne une définition qui fait consensus. Il s’agit d’une espèce venue d’un autre pays ou d’un autre continent, introduite par l’homme volontairement (parce qu’elle était belle, par exemple) ou involontairement (via les échanges commerciaux internationaux), et qui s’adapte si bien à son nouveau milieu qu’elle y prolifère au point de menacer l’écosystème existant.
A quelles espèces pensez-vous ?
On peut citer le frelon asiatique, observé pour la première fois en France en 2004 dans le Lot-et-Garonne. En outre-mer, des chats retournés à l’état sauvage déciment des populations d’oiseaux endémiques, comme le pétrel de Barau à La Réunion.
Quelles menaces les espèces invasives font-elles peser sur la biodiversité?
L’UICN en parle comme de la deuxième cause de perte de biodiversité dans le monde, derrière la disparition des habitats naturels. En France, l’impact est moindre et vient après la surexploitation des ressources ou les pollutions. Mais les espèces invasives peuvent avoir des conséquences sanitaires. Par exemple, le contact avec la berce du Caucase provoque de graves irritations de la peau.
Quelles mesures ont été prises?
On prend peu à peu conscience du problème. Depuis 2016, les Etats membres de l’UE ont interdiction d’importer, de cultiver, de reproduire, de vendre ou de remettre dans le milieu naturel 49 espèces.