Un autre oeil sur la planète
Contempler la Terre depuis l’espace permettrait d’éveiller une conscience écologique. Grâce à leur appli, deux Français veulent rendre cette expérience accessible à tous.
Seule une poignée d’hommes et de femmes, en l’occurrence les astronautes, ont vécu l’overview effect (l’effet de vision globale). Théorisée par l’historien des sciences Frank White, cette expérience quasi mystique est provoquée par l’effet combiné de la peur, de l’apesanteur, du silence et de la contemplation de la Terre. Elle laisse ensuite, de retour parmi le commun de mortels, la certitude que la Terre est un organisme vivant avec lequel nous ne faisons qu’un et qu’il convient donc de protéger. Et si une application permettait de faire vivre au plus grand nombre l’overview effect, en déclenchant en masse cette envie, ce besoin, de protéger la Terre? C’est l’ambition de Blueturn, une application créée par deux amis, les Français Jean-Pierre Goux et Michaël Boccara, et qui permet de découvrir la Terre entièrement éclairée, en rotation. Ce qui n’a pas été simple à réaliser.
Une idée d’Al Gore
« Deux mois après la signature du Protocole de Kyoto, en 1998, Al Gore, alors vice-président des Etats-Unis, réfléchissait à un moyen de mobiliser les citoyens sur les dérèglements climatiques, raconte Jean-Pierre Goux. Il a eu l’idée d’envoyer une sonde dans l’espace pour photographier la Terre en temps réel et diffuser les images obtenues sur Internet, qui venait de naître.» La Nasa a eu beau relever le défi de mettre au point en un temps record le satellite d’observation Triana, son lancement a été annulé au dernier moment : le 20 janvier 2001, Bush fils est devenu le 43e président des EtatsUnis et a stoppé aussitôt le projet de son adversaire politique. Il a fallu attendre l’administration Obama pour voir la mission, appelée DSCOVR pour Discover, sortir du placard. Elle prend son envol en février 2005 et envoie sa première image de la Terre cinq mois plus tard, le 21 juin.
Mais Jean-Pierre Goux et Michaël Bocarra sont déçus que la Nasa n’exploite pas plus les dix à quinze photos de la Terre que fait parvenir quotidiennement Discover. Alors, sur leur temps libre, ils cherchent à transformer ces images en vidéos. « Pour faire un film, il faut une cinquantaine d’images par seconde, rappelle Jean-Pierre Goux. Nous ne les avions pas, puisque les clichés de DSCOVR sont pris toutes les 1h30 environ. En revanche, nous avions remarqué que, d’une photo à l’autre, les nuages bougeaient moins vite que la rotation de la Terre. Si bien que nous pouvions calculer leurs trajectoires entre deux photos et ainsi créer toutes les images manquantes pour aboutir à un film.» L’appli Blueturn était née.
Deux ans plus tard, Jean-Pierre Goux comptabilise près de 100 000 téléchargements et multiplie les conférences pour susciter l’overview effect. Son projet : projeter les images de DSCOVR sur un bâtiment de chacune des villes du C40, cette coalition de maires de grandes villes du monde engagés dans la lutte contre le dérèglement climatique. Pourquoi ne pas commencer par Paris ? « Il faudrait que j’en reparle à Anne Hidalgo», glisse Jean-Pierre Goux.