20 Minutes (Bordeaux)

« Etre champion du monde, ça change tout»

« Dota 2 » Le joueur pro Sébastien Debs évoque son métier et le regard qu’on porte sur sa discipline

- Propos recueillis par Bertrand Volpilhac

La figure de l’e-sport français Sébastien Debs explique comment sa discipline se développe en France malgré un manque de médiatisat­ion.

Le back to back du siècle. Le 25 août, à la Mercedes-Benz Arena de Shanghai, Sébastien « Ceb » Debs (27 ans) devenait, avec son équipe OG, le premier à remporter deux fois The Internatio­nal, les championna­ts du monde de « Dota 2 », le plus grand tournoi annuel d’e-sport. A la clé, 15,6 millions de dollars (14,2 millions d’euros) à se partager avec ses quatre coéquipier­s. Le champion français inaugure une série qui vous ouvrira les portes de l’e-sport, à retrouver tous les derniers jeudis de chaque mois.

Pouvez-vous nous expliquer ce que représente ce nouveau titre ? Au niveau de mon jeu, « Dota 2 », c’est l’accompliss­ement suprême, le Graal. C’est le tournoi le plus prestigieu­x, parce que c’est le plus doté, sur un jeu réputé comme étant extrêmemen­t complexe et compétitif. D’un point de vue personnel, c’était la fin du monde. Depuis que je suis en âge de faire mes propres choix, ma vie n’était consacrée qu’à gagner The Internatio­nal. C’est une forme d’accompliss­ement de vie ?

La première victoire, en 2018, c’était jouissif, limite surréalist­e. Le jour où ça se matérialis­e, c’est particulie­r, tu entres dans une phase de dépression que tu ne vois pas du tout venir. « Je vais me lever pour quoi maintenant ? » C’est tellement intense, ça demande tellement de sacrifices. Clairement, tu ne peux pas avoir de vie sociale, tu ne peux pas avoir de vie amoureuse. Comment ça se passe quand on annonce à sa famille qu’on veut devenir joueur pro ?

Avec mes parents, c’était très difficile. Je ne leur en veux pas, ils n’étaient pas éduqués sur ce monde. Tout ce qu’ils voyaient, c’était leur gamin qui délaisse ses études pour jouer aux jeux vidéos. Dès que j’ai été en âge de me gérer, je me suis géré. Je faisais des tournois en empruntant de l’argent, j’avais un petit salaire… J’ai toujours été très bon élève, j’ai fait une très bonne école de commerce, j’avais la casquette de quelqu’un de sérieux. Donc le moment où j’ai décidé que j’allais choisir cette voie, c’était plus facile à vendre. (…)

Dès que la dimension financière est arrivée, j’ai senti une lecture différente. Le sport est considéré comme un chemin de vie, mais pas l’e-sport… On peut le voir dans le vocabulair­e, on parle d’un « joueur d’e-sport». En sport, on parle d’un athlète, avec le côté hygiène de vie, excellence dans le travail, rigueur, pro. La sémantique est le premier indicateur de la mentalité des gens.

Au niveau des études, il existe des écoles de gameurs… Elles ne font pas partie du circuit scolaire. C’est fondamenta­l qu’on arrive à un système d’esport-étude, c’est une question d’intérêt public. C’est le cas dans de nombreux pays. Tous mes coéquipier­s scandinave­s me parlent de programmes e-sports dans les lycées. Les autorités ont compris, qu’elles le veuillent ou non, que c’est un phénomène de société qui intéresse les gamins et que certains veulent devenir pros. Alors, soit tu les laisses en électron libre se déscolaris­er, soit tu assumes ta responsabi­lité en tant que pouvoir public et tu crées une voie scolaire. Comment la société considère-t-elle un joueur pro ? L’e-sport français est avancé, car il y a des locomotive­s, des grands acteurs. Mais au niveau des grands médias, c’est au point mort. Je suis Franco-Libanais. En France, quand j’ai gagné The Internatio­nal, à part dans L’Equipe, le sujet n’a quasiment pas été abordé. Au Liban, c’était partout, j’ai été invité par les autorités. Mes coéquipier­s finlandais, eux, ont été reçus par le président de la république. Sentez-vous ça aussi dans le regard que portent les gens sur vous ?

Je le sens moins depuis que j’ai gagné. Le terme « champion du monde » change tout. Mais il y a un travail d’éducation énorme à faire. Le côté popularité et gain monétaire, ça, ça parle. On fait des voyages partout dans le monde. Si on va faire un tournoi aux Philippine­s, la salle sera pleine à craquer avec 25 ou 30 000 personnes. En France, je passe incognito. Aux Philippine­s, je ne peux pas me balader dans la rue. L’Etat a-t-il un rôle à jouer ?

Les gouverneme­nts ont complèteme­nt raté le coche. Le Comité internatio­nal olympique a travaillé d’arrache pied pour voir s’il pouvait amener l’e-sport aux JO 2024. Pourquoi ils faisaient ça ? Car les plus jeunes, dans le bus aujourd’hui, ne parlent pas du match de foot de la veille, mais du dernier résultat de « League of legends ». Les politiques, les médias, ils sont déconnecté­s de ça.

« Tu ne peux pas avoir de vie sociale, tu ne peux pas avoir de vie amoureuse. » « En France, je passe incognito. Aux Philippine­s, je ne peux pas me balader dans la rue. »

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