L’ancien magistrat Luc Frémiot attend plus de l’Etat
Violences conjugales Chaque vendredi, un témoin commente une actualité marquante
Le regard fixe, Luc Frémiot prévient qu’il n’aime pas la langue de bois : « Je ne l’ai jamais fait, je ne veux pas démarrer aujourd’hui. » De fait, ce jeune retraité de la magistrature engagé contre les violences conjugales porte un regard très critique sur l’action du gouvernement en la matière. Tout en avançant des solutions.
A l’annonce du lancement du Grenelle sur les violences conjugales, vous avez manifesté des désaccords. Pourquoi ? Parce que, comme d’habitude, on prend le problème à l’envers. On a engagé le Grenelle sur une demande de financement du milieu associatif. Or, aujourd’hui, personne n’est capable de mettre un milliard d’euros sur la table. Alors on nous propose 1 000 places d’hébergement d’urgence supplémentaires pour les femmes victimes de violences, mais tout cela est dérisoire. On ne propose rien pour qu’elles ne soient plus victimes. On ne dit pas un mot sur la prise en charge des auteurs de violence. Lorsque j’entends Marlène Schiappa [la secrétaire d’Etat à l’Egalité entre les femmes et les hommes] dire qu’elle a des « problèmes philosophiques » à imaginer accueillir des auteurs de violences dans des centres pour les mettre aux mains de psychiatres et de dépenser de l’argent pour cela, je lui retourne la question : a-t-elle des « problèmes philosophiques» lorsque des femmes quittent leur domicile en pleine nuit avec les enfants sous le bras pour trouver une place d’accueil dans un hébergement d’urgence? C’est du bon sens. Quelles seraient, selon vous, les initiatives les plus urgentes à mettre en place ?
Les toutes premières violences devraient faire l’objet d’une prise en compte immédiate par les services de police et de gendarmerie. Il faudrait supprimer les mains courantes, qui ne servent à rien puisqu’elles n’engendrent aucune enquête. Les procureurs doivent immédiatement traiter les plaintes, il faut arrêter avec les classements sans suite. Il faudrait aussi évincer l’auteur du domicile familial pour provoquer un choc psychologique.
Une proposition de loi a été présentée mercredi. Elle prévoit notamment un renforcement de l’ordonnance de protection des victimes de violences… Toutes les mesures prises pour renforcer l’ordonnance de protection sont excellentes. Elle permet aux juges aux affaires familiales de pronon- cer l’éviction du domicile conjugal de l’auteur, de fixer les modalités de cette éviction – par exemple, même si le bail est au nom du conjoint violent, il peut être amené à continuer de payer le loyer –, elle peut statuer sur la garde et le droit de visite des enfants, c’est très important.
L’Espagne est régulièrement désignée comme pays en pointe en matière de lutte contre les féminicides. Qu’a fait ce pays que la France n’a pas fait ?
J’ai eu l’occasion de rencontrer une ministre espagnole de la Famille il y a quelques années. Elle était animée par une volonté absolue que je n’ai jamais rencontrée depuis chez un ou une responsable politique en France. Il y a eu une prise de conscience nationale en Espagne pour mettre en place une loi-cadre en 2004. Ici, on est encore loin de tout ça. Pourtant, quand on tra- vaille sur les violences conju- gales, on travaille pour l’avenir. Dans les trois quarts des cas, il y a des enfants dans ces dossiers. Certains deviendront auteurs, d’autres, victimes, et une partie sera résiliente.
La ministre Nicole Belloubet a commandé une enquête à l’inspection générale de la justice pour éplucher les «loupés» éventuels dans les cas d’homicides conjugaux jugés en 2015 et 2016. Vous réclamiez une telle enquête dans une pétition lancée en juillet. Pourquoi est-ce nécessaire ?
Il faut tout mettre sur la table, faire un état des lieux et en tirer les conséquences. Si des fautes lourdes ont été commises par des officiers de police judiciaire ou des magistrats, il doit y avoir des sanctions. La justice est rendue au nom du peuple français. Elle doit pouvoir rendre des comptes.
« Le Grenelle ne dit rien sur la prise en charge des auteurs.»
«Travailler sur les violences conjugales, c’est travailler pour l’avenir. »