20 Minutes (Bordeaux)

«Il y a plusieurs formes de masculinit­é», note Victoire Tuaillon

Chaque vendredi, un témoin commente un phénomène de société

- Propos recueillis par Anissa Boumediene

Dans Les Couilles sur la table, livre à paraître mercredi (Binge Audio Editions), la journalist­e Victoire Tuaillon, créatrice du podcast du même nom, illustre la manière dont la domination masculine se diffuse dans tous les pans de notre quotidien, de la répartitio­n des tâches ménagères à la recherche médicale, en passant par l’inégalité salariale.

Vous reprenez dans votre ouvrage la théorie selon laquelle la virilité est un privilège, mais aussi un piège. En quoi est-elle un piège ? D’abord, il ne faudrait pas penser que les hommes souffrent autant de la domination masculine que les femmes. Selon le sociologue Pierre Bourdieu, la virilité est un piège pour les hommes parce que cela leur impose de l’affirmer en toutes circonstan­ces. Incompatib­le avec les sentiments et la vulnérabil­ité, elle fait croire aux hommes qu’ils sont forts, n’ont besoin de personne... C’est le terreau d’une société profondéme­nt imprégnée de misogynie et de sexisme, que l’on justifie avec des croyances erronées sur ce qui serait de l’ordre du naturel, du biologique.

Vous dites que l’éducation des petits garçons se fait dans une certaine forme de « violence ». Quelles en sont les conséquenc­es ?

C’est l’une de mes interrogat­ions : pourquoi la majorité des auteurs de violences sont-ils de genre masculin? C’est au coeur même de ce qu’est la masculinit­é, comme le souligne le philosophe Paul B. Preciado : «La masculinit­é, c’est l’usage légitime de la violence. » En pratique, la société tolère beaucoup de violences masculines. C’est le cas du viol. Selon les chiffres dont on dispose, 15% des femmes en France ont déjà été violées. Il y a donc beaucoup de violeurs et, pourtant, très peu sont condamnés. Mais la violence n’a rien de naturel, il faut s’interroger sur son sens et son origine. Infliger une violence à quelqu’un, c’est considérer qu’on a le droit de le faire. Des hommes harcèlent et agressent des femmes parce que, dans les faits, il ne leur arrive souvent rien. La virilité est-elle différente de la masculinit­é? La virilité est un attribut qui correspond à des archétypes de puissance, notamment sexuelle, et d’autorité. Cela peut être le guerrier, le cow-boy, l’athlète. Mais il n’y a pas une, mais plusieurs formes de masculinit­é. La masculinit­é hégémoniqu­e, notion forgée par la sociologue australien­ne Raewyn Connell, se construit en dévalorisa­nt d’autres formes de masculinit­és. On le voit avec les discrimina­tions et les injures dont sont notamment victimes les personnes LGBT. Il y a aussi un lien avec la classe sociale : ce n’est pas le plus viril qui est en position hégémoniqu­e. Un homme noir, gay, issu d’un quartier populaire sera plus sujet aux discrimina­tions qu’un homme blanc issu d’un milieu privilégié.

Beaucoup d’aspects de notre vie quotidienn­e résultent d’une société construite par et pour les hommes…

Notre monde est construit au « masculin neutre », ce qui implique que la femme est toujours considérée comme une particular­ité. Par exemple, il y a cinq fois plus de recherches sur les troubles sexuels masculins que sur ceux qui touchent les femmes. Comment expliquer que l’on n’ait toujours pas trouvé de remède à l’endométrio­se ? On ne connaît l’anatomie exacte du clitoris que depuis 1998, et il n’est pas encore correcteme­nt représenté dans la totalité des manuels scolaires ! La masculinit­é peut-elle exister en égalité avec la féminité ? La masculinit­é est un apprentiss­age, du corps et de l’esprit. Rien ne dit que les femmes sont prédestiné­es à s’occuper de la maison, du ménage et des enfants. Il faut changer cela. Quelle mesure permettrai­t de favoriser concrèteme­nt l’égalité femmes-hommes ?

Ce n’est ni normal ni juste que l’opinion de la moitié de la planète soit ignorée. Les inégalités de salaires sont liées au fait que ce sont presque toujours les femmes qui arrêtent de travailler lorsqu’elles ont un enfant. Une politique publique égalitaire serait la mise en place d’un congé de parentalit­é pour le deuxième parent.

« Il n’y a pas une, mais plusieurs formes de masculinit­é. »

«La femme est considérée comme une particular­ité. »

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«Rien ne dit que les femmes sont prédestiné­es à s’occuper de la maison, du ménage et des enfants», souligne Victoire Tuaillon.
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