La gêne de la collecte d’ADN
Pourra-t-on bientôt réaliser un portrait-robot à partir d’une goutte de sang, comme les Chinois essaieraient de le faire ?
La Chine est-elle en train de doubler tout le monde sur le terrain du phénotypage d’ADN ? Selon un article du
New York Times paru mardi, l’Empire du Milieu tente de créer des portraits-robots à partir d’un échantillon d’ADN (salive, sang, peau, cheveux…).
Mais qu’est-ce que le phénotypage d’ADN permet-il de faire aujourd’hui ? Et que peut-on espérer savoir demain sur un individu à partir d’une goutte de sang ? De grandes bases de données
Le phénotypage d’ADN est autorisé depuis cinq ans et permet parfois de faire avancer des enquêtes dans le monde judiciaire. La police technique et scientifique a reçu 61 demandes, et certaines ont aidé à résoudre des affaires. Cette technique «vise à établir des corrélations entre des petites séquences d’ADN et des traits caractéristiques de l’apparence physique ou de l’origine géographique, de façon à orienter les enquêtes policières lors de la recherche de suspects », détaille pour le média The Conversation l’anthropologue et biologiste Joëlle Vailly, directrice de recherches au CNRS. Avec l’ADN, aujourd’hui, on peut déterminer la couleur de vos yeux, la couleur de votre peau, d’où viennent vos ancêtres, mais la recherche n’est pas très avancée. Après analyse des gènes, ce n’est pas un portrait à proprement parler qui est réalisé, mais une liste des caractéristiques physiques de la personne. « Le but est de fournir à la police des informations le plus précises possible, insiste François-Xavier Laurent, docteur en génétique à la police technique et scientifique. Il est impossible de produire un visage aujourd’hui.» Mais on peut certainement imaginer aller beaucoup plus loin dans le futur.
Une question se pose : jusqu’où l’ADN définit-il le physique ? « Et surtout, qu’est-ce qui de l’ADN transpire visuellement de vous?», s’interroge JeanLuc Dugelay, professeur à Eurecom Sophia Antipolis et spécialiste du traitement de données et de l’image. Il faut faire le pari que les traits du visage sont directement encodés dans le génome. Or, dans le physique, il y a une part de génétique et une part liée au mode de vie. Le surpoids, la consommation d’alcool, de drogues peuvent modifier notre apparence. « Les paramètres épigénétiques [quand l’environnement influence les gènes] ne sont pas négligeables », confirme Aurélien Bancaud, chargé de recherches au Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes du CNRS.
« Par apprentissage, l’intelligence artificielle saura mieux définir quelles caractéristiques du visage sont liées à quelles caractéristiques exactes d’une séquence ADN», observe Jean-Luc Dugelay. Pour cela, il faut des grandes bases de données annotées, c’est même le nerf de la guerre. Plus la machine est nourrie par des milliers d’exemples, plus elle aura la capacité d’établir des corrélations entre des petites séquences d’ADN et des caractéristiques physiques. Avec sa collecte massive, la Chine l’a bien compris. D’autant qu’elle est en train de prendre de l’avance sur le terrain de l’intelligence artificielle et de la reconnaissance faciale.
«Si vous avez, d’une part, une base ADN et, d’autre part, une base de visages [ce que la Chine commence à avoir grâce à son système de reconnaissance faciale généralisé] qui permet de définir des paires annotées [visage d’une personne-ADN de cette même personne], on peut espérer apprendre des choses», explique JeanLuc Dugelay. Pour l’instant, ces deux mondes la plupart du temps séparés pour des raisons éthiques. Les médecins ne récoltent pas des informations ADN de leurs patients, par exemple. Bien que l’article du New York Times se veuille anxiogène sur la question des usages que pourrait faire la Chine du phénotypage ADN, ses champs applicatifs sont difficiles à imaginer. Comme toute technologie, elle pourra être utilisée à bon escient, pour la santé par exemple, ou à mauvais escient, pour réprimer des minorités ethniques comme les Ouïgours (la thèse envisagée par le New York Times). « Soit on bloque le progrès technologique, soit on guide les bons choix, mais il y a rarement de technologies de progrès neutres », insiste Jean-Luc Dugelay. Et la France a tout intérêt à rester dans la course pour peser sur les questions éthiques.
«Il est impossible de produire un visage grâce à l’ADN aujourd’hui. » François-Xavier Laurent, docteur en génétique
«Il y a rarement de technologies de progrès neutres.» Jean-Luc Dugelay, spécialiste de traitement de données