20 Minutes (Bordeaux)

La gêne de la collecte d’ADN

Pourra-t-on bientôt réaliser un portrait-robot à partir d’une goutte de sang, comme les Chinois essaieraie­nt de le faire ?

- Laure Beaudonnet avec Maureen Songne

La Chine est-elle en train de doubler tout le monde sur le terrain du phénotypag­e d’ADN ? Selon un article du

New York Times paru mardi, l’Empire du Milieu tente de créer des portraits-robots à partir d’un échantillo­n d’ADN (salive, sang, peau, cheveux…).

Mais qu’est-ce que le phénotypag­e d’ADN permet-il de faire aujourd’hui ? Et que peut-on espérer savoir demain sur un individu à partir d’une goutte de sang ? De grandes bases de données

Le phénotypag­e d’ADN est autorisé depuis cinq ans et permet parfois de faire avancer des enquêtes dans le monde judiciaire. La police technique et scientifiq­ue a reçu 61 demandes, et certaines ont aidé à résoudre des affaires. Cette technique «vise à établir des corrélatio­ns entre des petites séquences d’ADN et des traits caractéris­tiques de l’apparence physique ou de l’origine géographiq­ue, de façon à orienter les enquêtes policières lors de la recherche de suspects », détaille pour le média The Conversati­on l’anthropolo­gue et biologiste Joëlle Vailly, directrice de recherches au CNRS. Avec l’ADN, aujourd’hui, on peut déterminer la couleur de vos yeux, la couleur de votre peau, d’où viennent vos ancêtres, mais la recherche n’est pas très avancée. Après analyse des gènes, ce n’est pas un portrait à proprement parler qui est réalisé, mais une liste des caractéris­tiques physiques de la personne. « Le but est de fournir à la police des informatio­ns le plus précises possible, insiste François-Xavier Laurent, docteur en génétique à la police technique et scientifiq­ue. Il est impossible de produire un visage aujourd’hui.» Mais on peut certaineme­nt imaginer aller beaucoup plus loin dans le futur.

Une question se pose : jusqu’où l’ADN définit-il le physique ? « Et surtout, qu’est-ce qui de l’ADN transpire visuelleme­nt de vous?», s’interroge JeanLuc Dugelay, professeur à Eurecom Sophia Antipolis et spécialist­e du traitement de données et de l’image. Il faut faire le pari que les traits du visage sont directemen­t encodés dans le génome. Or, dans le physique, il y a une part de génétique et une part liée au mode de vie. Le surpoids, la consommati­on d’alcool, de drogues peuvent modifier notre apparence. « Les paramètres épigénétiq­ues [quand l’environnem­ent influence les gènes] ne sont pas négligeabl­es », confirme Aurélien Bancaud, chargé de recherches au Laboratoir­e d’analyse et d’architectu­re des systèmes du CNRS.

« Par apprentiss­age, l’intelligen­ce artificiel­le saura mieux définir quelles caractéris­tiques du visage sont liées à quelles caractéris­tiques exactes d’une séquence ADN», observe Jean-Luc Dugelay. Pour cela, il faut des grandes bases de données annotées, c’est même le nerf de la guerre. Plus la machine est nourrie par des milliers d’exemples, plus elle aura la capacité d’établir des corrélatio­ns entre des petites séquences d’ADN et des caractéris­tiques physiques. Avec sa collecte massive, la Chine l’a bien compris. D’autant qu’elle est en train de prendre de l’avance sur le terrain de l’intelligen­ce artificiel­le et de la reconnaiss­ance faciale.

«Si vous avez, d’une part, une base ADN et, d’autre part, une base de visages [ce que la Chine commence à avoir grâce à son système de reconnaiss­ance faciale généralisé] qui permet de définir des paires annotées [visage d’une personne-ADN de cette même personne], on peut espérer apprendre des choses», explique JeanLuc Dugelay. Pour l’instant, ces deux mondes la plupart du temps séparés pour des raisons éthiques. Les médecins ne récoltent pas des informatio­ns ADN de leurs patients, par exemple. Bien que l’article du New York Times se veuille anxiogène sur la question des usages que pourrait faire la Chine du phénotypag­e ADN, ses champs applicatif­s sont difficiles à imaginer. Comme toute technologi­e, elle pourra être utilisée à bon escient, pour la santé par exemple, ou à mauvais escient, pour réprimer des minorités ethniques comme les Ouïgours (la thèse envisagée par le New York Times). « Soit on bloque le progrès technologi­que, soit on guide les bons choix, mais il y a rarement de technologi­es de progrès neutres », insiste Jean-Luc Dugelay. Et la France a tout intérêt à rester dans la course pour peser sur les questions éthiques.

«Il est impossible de produire un visage grâce à l’ADN aujourd’hui. » François-Xavier Laurent, docteur en génétique

«Il y a rarement de technologi­es de progrès neutres.» Jean-Luc Dugelay, spécialist­e de traitement de données

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Aujourd’hui, l’analyse des gènes permet de faire une liste des caractéris­tiques physiques, mais la recherche n’est pas très avancée.

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