20 Minutes (Bordeaux)

«Les violences ont toujours lieu dans le mannequina­t »

D’anciennes tops racontent leur quotidien à Paris dans les années 1980 et 1990

- Mathilde Cousin, avec Philippe Berry

Au bout du fil, la voix est déterminée. Pourtant, Arhel* a réfléchi avant d’accepter l’interview. Trop de mauvais souvenirs liés à Paris et au mannequina­t, une profession qu’elle a exercée à la fin des années 1990. « Il est important que les jeunes filles sachent. » Alors elle raconte : « J’ai commencé le mannequina­t à 15 ans. J’avais besoin d’argent pour payer une facture, alors j’ai décidé d’essayer le mannequina­t. Cela a très bien marché. » A 20 ans, elle arrive dans la capitale française. Son agence lui avait promis un appartemen­t réservé aux mannequins. A son arrivée, elle se retrouve dans un hôtel « d’un mauvais quartier », « miteux ». « Je me suis sentie perdue. »

Pour se faire une place, il faut persévérer et avoir le « look » : un air « subtil», «un peu malade» et être «très mince», se rappelle Arhel. La jeune femme avait un IMC de 15,3, bien en dessous des standards de l’OMS pour une « corpulence normale », entre 18,5 et 25. « Les habits qu’on vous demande de porter sont très petits, se souvient Arhel. Dès que vous prenez du poids, vous ne pouvez pas travailler. » Avec le recul, Arhel conseille à chaque fille qui se lance dans le milieu «d’avoir son propre manageur. Les jeunes filles sont souvent très jeunes quand elles arrivent à Paris ou Milan et elles ont besoin de quelqu’un qui agit comme un “parent” pour prendre soin d’elle. Aucune agence ne peut le faire.»

Harcèlemen­t sexuel et abus

Aujourd’hui, ces pratiques ont-elles toujours cours? Depuis 2017, les groupes LVMH et Kering se sont engagés à ne plus faire travailler des mannequins âgées de moins de 16 ans et portant une taille inférieure au 34. Les mannequins doivent aussi fournir un certificat médical datant de moins de six mois pour travailler. Les modèles doivent être hébergées par les agences dans «un logement offrant un niveau de confort respectueu­x de leur bien-être.» Malgré ces initiative­s, «les mannequins ne sont pas plus en sécurité maintenant que dans les années 1980 et 1990, souligne auprès de 20 Minutes l’ancienne top-modèle américaine Sara Ziff. Les mannequins sont toujours sous pression pour coucher avec les agents. Le harcèlemen­t sexuel, les abus, l’exploitati­on économique : ces violences ont toujours lieu dans l’industrie du mannequina­t.» Pour défendre des conditions de travail décentes, l’Américaine a fondé la Model Alliance. En octobre, elle a rencontré à Paris la secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, ainsi que des représenta­nts de LVMH, Kering et Chanel pour présenter l’initiative Respect. Ce programme « invite les entreprise­s de la mode à s’engager à mettre fin au harcèlemen­t et aux autres formes d’abus». Il incite les mannequins et les acteurs de l’industrie «à remplir des plaintes confidenti­elles, qui feraient l’objet d’investigat­ions indépendan­tes, avec des conséquenc­es réelles pour les agresseurs ».

Pour se faire une place, il faut avoir l’air «un peu malade».

* Le nom a été modifié.

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 ??  ?? L’ex-mannequin Sara Ziff (ici en 2010) a fondé la Model Alliance pour défendre les conditions de travail des modèles.
L’ex-mannequin Sara Ziff (ici en 2010) a fondé la Model Alliance pour défendre les conditions de travail des modèles.

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