Un zeste de malaise dans les paroles de Gainsbourg
Trente ans après sa mort, peut-on écouter certaines de ses chansons sans culpabiliser ?
Il y a trente ans, le 2 mars 1991, Serge Gainsbourg mourrait à Paris à 62 ans. Depuis, il n’a cessé d’être célébré. Il n’empêche, perçues avec des yeux et des oreilles de 2021, certaines paroles de ses chansons passent mal. «On trouve des défenses et illustrations de la violence faite aux femmes, de l’exotisation, tout un tas de choses comme ça qui sont extrêmement gênantes», reconnaît Bertrand Dicale, auteur de Tout Gainsbourg (éd. Gründ).
Lemon Incest, son duo avec sa fille Charlotte, est un cas d’école. « Dès sa sortie en 1985, la chanson a fait scandale. C’était déjà problématique à l’époque », note Léa Lootgieter, coautrice des Dessous lesbiens de la chanson (éd. iXe), estimant qu’aucun label ne se risquerait à commercialiser le single aujourd’hui.
«Il serait un autre artiste»
Olivier Bourderionnet, professeur à l’université de La Nouvelle-Orléans (Etats-Unis), imagine même que Serge Gainsbourg n’aurait jamais écrit ce texte en 2021 : « Il serait forcément un autre homme, un autre artiste, s’il avait la cinquantaine aujourd’hui. N’oublions pas que, dans les milieux intellectuels parisiens de la fin des années 1970, on signait allègrement des pétitions pour rendre plus permissives les lois concernant le détournement de mineurs.» « La culture populaire est un excellent moyen de marquer les évolutions de la société», reprend Bertrand Dicale. Aussi, si elle n’est pas favorable à une quelconque censure des chansons problématiques, Léa Lootgieter refuse d’entendre le couplet plaidant pour la séparation de l’homme et de l’artiste. «Récemment, Charlotte Gainsbourg parlait des violences qu’avait subies Jane Birkin avec Serge Gainsbourg. Il était violent avec les femmes et ça transparaît dans ses chansons, il faut continuer à dénoncer ça. » « [Avec la chanson] Johanna, sur l’album Gainsbourg Percussions, vous avez tout : la grossophobie, le racisme, l’exotisation, l’animalisation de la femme, énumère Bertrand Dicale. Cette chanson, plus personne ne la diffuse. Nous, collectivement, nous évoluons. Il y a des chansons que nous aimons entendre et d’autres, non. » Et il y a celles qu’on aime, nous non plus.