20 Minutes (Bordeaux)

« L’esprit critique est plein de trous, mais il existe chez tout le monde »

Thomas C. Durand biologiste et écrivain

- Propos recueillis par Mathilde Cousin

« Il faut qu’on soit conscients des biais cognitifs, parce que ceux-ci sont exploités par le marketing. »

L’OMS recommande­rait de faire 10 000 pas par jour. On n’utiliserai­t que 10 % de notre cerveau… Ces idées reçues, le biologiste et écrivain Thomas C. Durand a choisi de les nommer « balivernes ». Pour 20 Minutes, le coanimateu­r de la chaîne YouTube La Tronche en biais (lire le contexte

ci-dessus) revient sur les biais cognitifs, ces raisonneme­nts de notre cerveau qui agissent sur notre quotidien sans que nous en ayons conscience.

Pourquoi certaines idées imprègnent-elles plus que d’autres notre cerveau ? Vous citez l’exemple de la muraille de Chine, qui serait visible à l’oeil nu depuis la Lune…

Attention, la plupart des choses que l’on entend et que l’on répète sont vraies. Mais il y en a certaines qu’on répète parce que c’est agréable d’y croire. La baliverne au sujet de la muraille de Chine, par exemple : eh bien, l’astronaute Thomas Pesquet a encore pris une photo [depuis la Station spatiale internatio­nale], il y a quelques jours. Il dit qu’à l’oeil nu il ne la voit pas. La baliverne est réfutée, mais ça fait une belle histoire, donc on va encore l’entendre. Le domaine de la santé est aussi riche en balivernes, sans doute parce que c’est un domaine très important et que nous nous sentons souvent démunis en la matière. Croire certaines choses sur la santé nous permet de nous imaginer que nous contrôlons un peu les choses.

Vous consacrez une grande partie du livre à ce qu’on appelle les biais cognitifs. Dans la vie quotidienn­e, est-il important de savoir que nous raisonnons avec ces biais ?

Le but du bouquin, c’est de rappeler que cela existe chez tout le monde. Les biais ne sont pas des preuves que le cerveau est mal foutu. Ce sont juste des raccourcis mentaux qui, dans la plupart des situations, nous amènent à des conclusion­s qui sont proches de la réalité, assez proches pour que le raisonneme­nt soit considéré comme étant valide.

Certaines balivernes sont répétées à l’envi. Ne faut-il pas y voir un échec de l’esprit critique ?

Nous sommes tous à égalité devant les énoncés. Si on s’entraîne, nous pouvons tous résister un petit peu mieux aux énoncés trompeurs. Il n’y a jamais de garantie que nous soyons étanches au « bullshit ». On a tous dans la tête des choses fausses que l’on ne veut pas remettre en question. La plupart du temps, ce n’est pas grave. L’esprit critique est plein de trous, mais il existe chez tout le monde.

Ces biais sont multiples. Or nous n’y sommes pas sensibilis­és au quotidien…

À l’heure actuelle, on ne sait pas encore comment on peut améliorer l’esprit critique des gens. Mais présenter les biais est une bonne piste. Il faut qu’on soit conscients des biais, parce que ceux-ci sont exploités par le marketing. Les gens qui sont un peu conspirati­onnistes ont tout intérêt à connaître les biais cognitifs. Ils sont dans une démarche où ils désirent ne pas être manipulés. Ils confondent ce désir avec cette idée : « C’est bon, puisque je ne veux pas être manipulé, je ne peux pas l’être. » Or dès qu’on en est sûr, c’est un piège, parce que l’on cesse d’être prudent.

Vous utilisez l’expression « penser contre soi-même ». Est-ce la méthode que vous recommande­z pour se libérer des biais cognitifs ?

Il n’y a pas de méthode miracle. Les biais, vous ne vous en débarrasse­rez pas. La meilleure preuve, ce sont les illusions d’optique : même quand on sait ce que l’on a sous les yeux, parfois, on n’arrive pas à voir la réalité telle qu’elle est. Les biais cognitifs vont rester, parce que le cerveau est fait comme ça. Il y a des situations où on arrive à un jugement qui est faux, même quand on sait que c’est faux : des profession­nels, à l’hôpital, croient qu’il y a plus de naissances les jours de pleine lune. Même si les données disent le contraire, ils ont le sentiment qu’ils l’ont vécu, que le lien de logique est réel.

Peut-on quand même avoir des signaux d’alerte ?

Les signaux d’alerte, ce sont les autres, les gens autour de soi. C’est pour ça qu’il faut s’intéresser aux gens qui ne pensent pas comme nous. On ne peut pas être que dans des cercles où nous sommes tous d’accord. Avoir un petit peu de désaccord avec nos amis, c’est la meilleure chose que l’on puisse faire. La solution, c’est aussi de ne pas croire que nous sommes immunisés. Lire des bouquins sur les biais cognitifs ne vous empêchera d’ailleurs pas d’en avoir !

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H. Assouline / Humenscien­ces Thomas C. Durand est aussi le coanimateu­r de la chaîne YouTube La Tronche en biais.
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