20 Minutes (Lille)

« Le malheur est devenu commun »

Réfugiée à Nice, une maman vit dans l’angoisse pour ses proches restés près d’Alep

- A Nice, Mathilde Frénois

Aya* vit les yeux rivés sur son téléphone. Réfugiée à Nice depuis plus d’un an, cette jeune femme de 33 ans attend constammen­t des nouvelles de Syrie. Chaque informatio­n sur l’avancée des combats est source d’angoisse. Chaque appel de proches restés à Alep permet quelques instants de répit. « Je vis avec la peur, confie-t-elle. C’est très compliqué de mener son quotidien quand on a connu la guerre, et qu’elle se poursuit où nos proches vivent. » En Syrie, elle était architecte pour le compte de l’Etat. Ayant abandonné son poste, elle craint des représaill­es du gouverneme­nt de Bachar al-Assad sur sa famille. Aya a fui Idleb (au sud-ouest d’Alep) en janvier 2013. Pendant plus d’un an, avec son mari et ses enfants, elle a fait des allers-retours entre la Turquie et la Syrie avant de quitter définitive­ment le Proche-Orient mi-2014. « On est partis à cause de la guerre, insiste-t-elle. Les bombardeme­nts ne nous laissaient pas d’autre solution. »

Traumatisé­e

Son pays n’est plus que synonyme d’angoisse et d’inquiétude. « Parfois, toute la famille restait deux jours enfermée dans la salle de bains ou la cave, se souvient-elle en croisant ses mains dentelées par le henné. J’avais toujours peur que quelque chose arrive à mes enfants. » Ses deux fils n’ont jamais été scolarisés, par crainte d’un bombardeme­nt. « J’ai vu le voisin et son enfant tués à cause d’un missile. Une autre fois, un restaurant en pleine inaugu ration a été visé. Trente personnes sont mortes. Ce sont quelques exemples, mais je pourrais vous en parler toute la nuit. Là-bas, le malheur est devenu commun. » Aujourd’hui, Aya est insérée en France. Elle dispose d’un titre de séjour, suit des cours de français à l’université et recherche un poste d’architecte. Dans son appartemen­t, elle a recréé un cocon rappelant ce pays qu’elle n’a jamais souhaité quitter : les tapis, les plats mijotés et « surtout la musique » viennent tout droit de Syrie. Y retourner ? « Je ne sais pas, hésite-telle. A cause de la peur, j’ai subi des crises d’angoisse et j’ai arrêté de manger. Jusqu’à maintenant, je n’arrive pas à être comme avant la guerre. » Aya n’aura pas regardé une seule fois son portable pendant l’entretien. Pourtant, depuis quatre jours, elle tente d’appeler sa soeur, à Alep. La dernière fois qu’elle l’a eue au téléphone, elle lui a raconté les difficulté­s pour se nourrir, pour se protéger, pour vivre. « Je sais que ma soeur n’a pas d’électricit­é, se rassuret-elle. Mais j’angoissera­i jusqu’à ce que j’entende le son de sa voix. » * La jeune femme a demandé à ce que son prénom soit modifié

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La mère de famille apprend le français et cherche à retravaill­er.

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