Les racines du « vieil antisémitisme français »
Antisémitisme La professeure MarieAnne Matard-Bonucci explique les ressorts de l’hostilité envers les juifs
La question de la résurgence d’un antisémitisme ancré en France a fait son retour cette semaine, à la suite de la publication dimanche d’un «manifeste contre le nouvel antisémitisme». Le président de la République Emmanuel Macron, en visite aux Etats-Unis, a lui-même fait référence aux racines de cet antisémitisme. Marie-Anne Matard-Bonucci, professeure d’histoire contemporaine à Paris-VIII, revient sur la genèse de cette hostilité.
Quelles sont les racines du « vieil antisémitisme français » évoquées par Emmanuel Macron ?
On peut parler indéniablement d’un vieil antisémitisme français, apparu au milieu du XIXe siècle comme un contrecoup de la Révolution française. Des partisans de l’Ancien Régime considéraient que les juifs, émancipés par la Révolution, en étaient à l’origine. Avant cela, certains historiens ont parlé d’un antijudaïsme à matrice catholique, c’est-à-dire des stéréotypes d’origine religieuse, comme l’idée du peuple déicide. Enfin, il y a un antisémitisme d’origine sociale, dû à l’entrée des juifs dans la vie économique. Certains ont retourné en leur faveur certaines interdictions datées du Moyen Age, comme l’usure, proscrite par l’Eglise catholique. Mais ce n’était qu’une infime minorité, à côté d’autres groupes, catholiques ou protestants, qui ont fait fortune dans ces mêmes secteurs. Les antisémites ont monté en épingle cette réussite de quelques juifs pour développer leur haine.
Le conflit israélo-palestinien a-t-il exporté une autre forme d’antisémitisme en France ?
On constate que les agressions antisémites en France connaissent des pics quand il y a de grandes tensions ou des affrontements en Palestine. Les pays arabes ont beaucoup instrumentalisé ce conflit, en faisant des Palestiniens des martyrs emblématiques du nationalisme arabe, pour servir leurs propres intérêts. Indéniablement, il y a une oppression des Palestiniens, mais ce conflit est devenu symbolique de toutes les situations d’oppression sur la planète, alors qu’il est loin d’être le seul. Cela crée beaucoup de confusion dans les esprits. Il faut rappeler que l’Etat d’Israël n’est pas à confondre avec la politique de Benjamin Netanyahou, et que les juifs ne sont pas à confondre avec les Israéliens.
Le président suggère des cours pour lutter contre ce nouvel antisémitisme…
C’est un combat que je mène depuis deux ans. Il ne faut pas donner des cours seulement sur l’antisémitisme, mais sur les racismes. L’école doit enseigner la genèse et les mécanismes des haines identitaires globalement, comme on enseigne les guerres, pour aider à les déconstruire.