20 Minutes (Lille)

Loin de toute présence féminine, des hommes de pouvoir se regroupent dans des clubs privés

A Paris, des clubs privés concentren­t pouvoir et entre-soi masculin

- Romain Lescurieux

« Je suis membre depuis vingt ans. Je suis ici chez moi», se pavane un homme en déposant ses affaires au vestiaire de l’Automobile Club de France (ACF). Il n’en dira pas plus. Situé place de la Concorde, ce club ultra-select fondé en 1895 vit, depuis, dans l’ombre, au même titre que ses proches voisins, le Jockey Club et le Travellers. Ces espaces sont un concentré de pouvoir, d’élite et d’entre-soi cristallis­é autour d’un autre point commun : les femmes en sont exclues. Des passions «prétextes», comme « le cheval, la course hippique, les voitures, des emblèmes de la richesse » fédèrent les hommes, affirme auprès de 20 Minutes la sociologue de la bourgeoisi­e Monique Pinçon-Charlot. Ces espaces élitistes regroupent à eux trois plus de 4 000 personnes autour de « valeurs » telles que « l’élégance, l’excellence ». Le but : s’entraider, préserver une élite sociale et son pouvoir. A l’écart des femmes. « En Angleterre, ces clubs sont nés, dit-on, en opposition à la mainmise des femmes sur l’espace domestique et en réaction à la montée des suffragett­es [qui militaient pour le droit de vote féminin]», explique Martine Delvaux, professeur­e de littératur­e à l’université du Québec, à Montréal. En France, l’essence du club reste la même, selon la spécialist­e : « Le terme “club” vient de “cleave”, qui signifie “cliver”.» Dans les halls de l’ACF, on peut croiser des femmes, mais elles seront toujours accompagné­es d’hommes. Elles ne sont pas membres, mais ont accès à des activités, en tant que conjointes. «Que les femmes ne puissent pas être membres peut paraître étrange au XXIe siècle, mais voyons ça comme une tradition, plutôt que de la discrimina­tion, assure Charles Beigbeder, membre du Travellers depuis 1989 et de l’ACF depuis 1994. Est-ce que cela changera ? Certains pourraient s’en offusquer et considérer cela comme un déclin. Moi, ça ne me dérangerai­t pas. » Si, depuis peu, des espaces s’ouvrent à des femmes accompagné­es, la piscine conçue par Gustave Eiffel à l’ACF demeure un bastion 100% masculin. Une bonne chose, pour ce membre, qui préfère rester anonyme : « Un des gros avantages, comme les femmes ne sont pas présentes, c’est que personne n’est tenté de faire le coq.» Sollicitée, la direction de l’ACF a décliné une interview. Le Travellers n’a pas donné suite à nos demandes et le Jockey Club a confirmé par téléphone qu’il n’y a toujours «pas de femmes dans ce lieu». Autant de clubs, donc, où la misogynie, sous couvert de « plaisanter­ies», de «franc-parler» ou de « tradition », est présente, selon Gilles de Chaudenay, auteur de Physiologi­e du Jockey-Club, en 1958. Récemment, l’interdicti­on de femmes au 1er étage du restaurant de l’ACF a même été remise au goût du jour, selon Le Canard enchaîné, qui précise qu’une avocate invitée par un membre a été « virée » de l’espace. De leur côté, Monique et Michel Pinçon-Charlot notent, dans un article datant de 1989, ce moment où «le maître-nageur de l’Automobile Club de France, présentant à un nouveau membre la piscine de ce cercle, précise qu’il s’agit de l’espace nautique le moins pollué de Paris, puisque aucune femme ne s’y est jamais baignée». Si ces espaces masculins ne semblent pas prêts à évoluer, les femmes ont commencé, en France et en Angleterre, à créer leurs propres cercles de pouvoir avec cooptation. A Londres, AllBright, un club privé féminin, a ainsi ouvert il y a peu, avec cette citation de Virginia Woolf sur sa devanture : « Une femme doit avoir de l’argent et un lieu à elle. »

Le but : s’entraider, préserver une élite sociale et leur pouvoir. A l’écart des femmes.

« L’espace nautique le moins pollué car aucune femme ne s’y est baignée. » Les Pinçot-Charlot, sociologue­s

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Des hommes qui assistent au prix du Jockey Club, à l’hippodrome de Chantilly (Oise), en 2013.

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