Ces six font les planches
Modèles Si les « vieilles » têtes d’affiche sont toujours là, de nouveaux héros et héroïnes ont pointé le bout de leur cartable, costume ou museau, et font vivre les BD, comics et mangas
Esther
S’il y a une héroïne populaire, c’est bien la jeune Esther : en seulement quatre albums, il s’est vendu plus de 500 000 exemplaires des « Cahiers d’Esther », une série signée Riad Sattouf (également auteur de cet autre succès éditorial qu’est « L’Arabe du futur »). Le bédéaste-réalisateur y rapporte, depuis 2016 et à raison d’un volume par an, le quotidien d’une collégienne parisienne qui existe vraiment, puisqu’il s’agit de la fille d’un couple d’amis ! Cette dernière confie chaque semaine à l’auteur des anecdotes vécues. Leur retranscription sous forme de tranches de vie dessinées est, du coup, bluffante de réalisme. Ça explique probablement que la série séduise un très large public.
Alors qu’elle était âgée de 10 ans et entrait au CM1 au début de leur collaboration, la nouvelle héroïne de Sattouf est désormais une préadolescente très à l’aise dans ses baskets – quoique sujette aux préoccupations propres à son âge (son corps se transforme, elle est attirée par des garçons...). Plus une enfant, mais pas encore une adulte, la miss, que l’auteur a promis de « suivre » jusqu’à ses 18 ans, incarne parfaitement la jeunesse urbaine de 2020. C’est d’ailleurs grâce à cet ancrage dans la contemporanéité qu’Esther s’affirme, d’album en album, comme l’une des héroïnes de bande dessinée les plus modernes de sa génération. Olivier Mimran
Miles Morales
Spider-Man, nouveau héros? Sûrement pas. Mais son alter ego Miles Morales, oui. Cet adolescent de Brooklyn, métis latino et noir américain, a été créé en 2011 par le scénariste Brian Michael Bendis et la dessinatrice Sara Pichelli. Il apparaît dans
l’univers Ultimate, une dimension alternative de l’univers Marvel. Mordu par une araignée biologiquement modifiée tout droit sortie des labos de l’entreprise Oscorp, Miles obtient des pouvoirs similaires à ceux de Peter Parker. Quand celui-ci meurt onze mois plus tard, il endosse le rôle de Spider-Man.
Ses aventures sont d’abord racontées dans la série « Ultimate Comics : Spider-Man ». Depuis 2016 et le cross-over Secret Wars, Miles Morales vit dans « notre » monde. Membre des Avengers, il partage le rôle de Spider-Man avec Peter Parker. Tandis que celui-ci officie dans le monde entier, Miles est le protecteur de New York. Alex Alonso, le rédacteur en chef de Marvel de l’époque, a raconté que l’élection de Barack Obama en 2008 avait inspiré le changement d’origine ethnique du héros le plus populaire de la « Maison des idées ». Depuis son lancement, les critiques sont restées très positives, et Miles Morales est devenu un personnage phare de l’univers Marvel. Sa popularité s’est confirmée auprès du grand public en 2018, avec le très beau film d’animation Into the Spider-verse. Mathilde Loire
Emma
Pendant longtemps, les héroïnes de manga étaient surtout des héroïnes de shôjo manga (plutôt destinés aux filles). Et si elles arrivaient à se faire une place (secondaire) dans les shônen (à destination des garçons), c’était le plus souvent avec des aspects masculins : le badass, la baston… C’est pourquoi Emma, de
The Promised Neverland, fait un bien fou. Avec ses cheveux courts, ses yeux verts et sa petite taille, la fillette ne paie pas de mine, mais son intelligence, son courage et sa débrouillardise en font très vite la leadeuse des orphelins de Grace Field House.
Dans cet orphelinat, les enfants coulent des jours heureux, sous la bienveillance de leur « Maman ». Mais un soir, Emma et ses camarades découvrent la terrible vérité : ils ne sont que du bétail pour des démons. Ils doivent s’échapper, et ils peuvent compter sur Emma. Bien que prépublié dans le magazine Weekly Shônen Jump, le temple du shônen, The
Promised Neverland tient plus du conte dark et cruel, reprenant et détournant les codes du survival, en vogue dans le manga. Avec déjà 17 volumes (11 en France chez Kazé), une série animée et bientôt un film en prise de vues réelles, le titre est dans le top 5 des ventes de manga au Japon. Vincent Julé
Pierrot
Avec Antoine, Pierrot et Mimile, les papis prennent carrément le pouvoir! Ecrite par Wilfrid Lupano et dessinée par Paul Cauuet, la série « Les Vieux Fourneaux », dont les trois septuagénaires sont les héros depuis 2014, est l’un des plus gros cartons éditoriaux de ces dernières années. Il faut dire que, en cinq albums, le trio, de gros ronchons au coeur tendre, a eu le loisir de se faire apprécier : qui ne craquerait pas devant ces amis d’enfance qui, ayant passé leur vie à se rebeller contre toute forme d’autorité, poursuivent la lutte malgré les rhumatismes et croquent la vie à pleines dents ? Il faut croire que les lecteurs de bandes dessinées francophones aiment les extrêmes, puisque les aventures déjantées de ce trio un peu anar totalisent déjà près de 600 000 exemplaires vendus – un chiffre exceptionnel – et sont traduites dans huit langues. Un succès d’ailleurs annoncé dès Ceux qui restent, le premier volume, qui a reçu en 2015 le prix du public du festival de la BD d’Angoulême. Lupano et Cauuet, qui souhaitaient « parler de la famille, de notre époque, de la société par l’intermédiaire de personnages qui sortent des stéréotypes », ont gagné leur pari. Olivier Mimran
Harley Quinn
Avant d’être une figure de la bande dessinée, Harley Quinn est née sur le petit écran, créée en 1992 par Paul Dini et Bruce Timm, dans la série télé d’animation Batman. Elle est alors introduite comme une acolyte du Joker, le grand ennemi du Chevalier noir. A l’état civil, Harleen Quinzel est une jeune diplômée en psychiatrie, qui a essayé de « soigner » son complice, avant de tomber amoureuse de lui. Internée à son tour, elle s’évade d’Arkham en enfilant un costume d’arlequin et se rallie au Joker. Longtemps définie par la relation abusive qu’elle entretient avec le Joker, Harley Quinn s’est désormais émancipée, vit ses propres aventures et mène une romance avec Poison Ivy. Une émancipation sur papier et petit écran, d’abord, et bientôt au cinéma : Birds of Prey et la
fantabuleuse histoire de Harley Quinn, en salles le 5 février, permet au personnage interprété par Margot Robbie de vivre ses propres aventures sans le Joker, et de faire alliance avec une équipe de femmes. Si Harley Quinn a bientôt 30 ans, sa grande popularité est plus récente. Elle est désormais identifiable par le grand public, en particulier depuis Suicide Squad. Elle inspire de nombreux cosplays, et apparaît actuellement dans quatre séries de comics distinctes, dont trois à son nom. Surtout, elle est de l’aveu même de Jim Lee, coéditeur de DC Comics, le quatrième pilier de l’éditeur, juste après Superman, Batman et Wonder Woman. Mathilde Loire
Legoshi
Son père, le mangaka Keisuke Itagaki, dessine les mecs les plus baraqués et les combats les plus frappés du manga dans la série « Baki ». Paru Itagaki, elle, dont la filiation n’a été révélée qu’après le succès, préfère croquer des animaux : lapins, mangoustes, labradors, cerfs… et un loup gris. Le grand méchant loup ? C’est toute la question de Beastars (Kioon), où carnivores et herbivores (tous anthropomorphes) vivent en harmonie, à l’instar des élèves de l’école Cherryton. Consommation de viande interdite, dortoirs séparés en fonction des régimes alimentaires… tout est fait pour refouler l’instinct des carnivores, à commencer par le héros Legoshi qui, derrière le cliché du grand méchant loup donc, cache une personnalité sensible, timide et maladroite. Mais les clichés ont la dent dure, et lorsqu’un alpaga est retrouvé déchiqueté, tous les yeux se retournent vers lui. Legoshi décide de mener lui-même l’enquête, alors qu’il développe des sentiments pour Haru, une lapine naine, et que se préparent les élections pour désigner le Beastar, le leadeur de l’école. Avec le personnage de Legoshi et le manga Beastars, Paru Itagaki bouscule le petit monde du shônen, de ses héros et de ses auteurs, avec un dessin original et habité, ainsi qu’avec un récit palpitant et profond sur, non pas l’homme, mais l’humanité. Vincent Julé