Chez les robots, les émotions restent artificielles
Dans « Les Robots “émotionnels”», Laurence Devillers explore la relation homme-technologie
A force de simuler les émotions et l’empathie, quelle place les machines vontelles avoir dans nos sociétés ? C’est l’une des questions sur lesquelles se penche Laurence Devillers, chercheuse au Limsi-CNRS et professeure en informatique et intelligence artificielle (IA) à Sorbonne Université, dans son livre Les Robots « émotionnels » (éditions de l’Observatoire), paru mercredi.
Qu’est-ce qu’un « robot émotionnel », le titre de votre livre ?
«Robot émotionnel», c’est un peu comme «intelligence artificielle». L’oxymore suscite une ambiguïté immédiate. Dans « robot », on pense machine, et dans « émotionnel », on pense humain. Evidemment, les robots n’ont pas d’émotion. Mais on va de plus en plus loin dans la simulation qu’on fait du vivant. On simule par exemple le langage, qui est propre aux humains. Or, la parole est forte, c’est la façon d’aimer, de partager… La perception et la décision, c’est la grande différence des machines qui embarquent de l’IA.
Quel genre d’émotions est-on capable de simuler aujourd’hui ?
Les robots sont capables de simuler beaucoup d’émotions, mais moins d’en détecter. On synthétise pour une personnalité, ou une voix, alors qu’en reconnaissance faciale [l’une des actrices principales dans la reconnaissance des émotions] on traque toutes les variabilités. C’est compliqué de savoir quand générer une bonne émotion en face d’une personne. Il faut comprendre ses comportements expressifs. Devant une personne qui pleure, je peux faire qu’une machine comprenne, interprète les signes et suive un modèle statistique qui dit : « Dans ce cas-là, il faut être dans l’empathie. »
Les robots vont-ils devenir les futurs animaux de compagnie ?
Votre animal de compagnie vous intéresse parce qu’il est imprévisible. Or, même si on met un peu d’imprévisibilité dans la machine, on arrivera facilement à la débusquer. Toutes ces machines, à force d’être si précises et attentionnées, risquent d’être d’un ennui terrible à long terme.
Pourquoi projette-t-on autant de choses sur les robots ?
Cela a été théorisé par les chercheurs Byron Reeves et Clifford Nass, de Stanford. Lorsqu’une machine nous parle, que ce soit un ordinateur ou un téléphone, on projette sur elle les capacités de l’humain. C’est notre mode de fonctionnement naturel. Ça répond au besoin de ne jamais rester seul.