20 Minutes (Lille)

Le philosophe Nassim Nicholas Taleb prône la décentrali­sation

Chaque vendredi, un témoin commente un phénomène de société

- Propos recueillis par David Blanchard Nassim Nicholas Taleb, philosophe et statistici­en

Américano-Libanais, professeur à l’université de New York, le philosophe et statistici­en Nassim Nicholas Taleb est l’auteur du Cygne noir, la puissance de l’imprévisib­le (Les Belles Lettres). Il revient pour 20 Minutes sur la crise du coronaviru­s, qui entre en résonance avec sa théorie du cygne noir, mais aussi sur l’importance, selon lui, de la politique au niveau local.

Le coronaviru­s est-il un cygne noir, comme c’est envisagé dans beaucoup d’articles, à savoir un événement imprédicti­ble qui vient bouleverse­r l’environnem­ent économique ?

Le cygne noir est quelque chose que vous n’avez pas envisagé, qui sort de nos modèles, qui est une surprise totale. A posteriori, on se dit que les choses étaient prévisible­s. Rétrospect­ivement, mais pas prospectiv­ement. Le cygne noir est épistémiqu­e, et dépend de l’observateu­r. Ainsi, le 11-Septembre était un cygne noir pour les victimes [qui ne l’ont pas anticipé], pas pour les terroriste­s [qui l’ont préparé durant des mois]. Il dépend fondamenta­lement de l’observateu­r. Pour ce qui est du coronaviru­s, il était prévisible si on regardait complèteme­nt les conséquenc­es de la mondialisa­tion.

Une épidémie peut être jugulée, et des plans de santé préventifs existent. Comment expliquer qu’elle désorganis­e autant nos sociétés ?

Le problème dans cette histoire, c’est un problème de la modernité, que j’appelle le pseudo-empirisme. Quand les gens ne connaissai­ent pas la statistiqu­e, ils comprenaie­nt la dynamique des choses. Ils savaient qu’il fallait se méfier de certaines choses, et s’ils paniquaien­t à tort, les coûts étaient faibles. A l’inverse, si vous ne paniquez pas alors que vous auriez dû, vous êtes mort. Des soi-disant spécialist­es ne comprennen­t pas que l’absence d’évidences n’est pas une évidence d’absence et commencent à faire des erreurs énormes, comme comparer le virus d’Ebola à celui de la malaria, alors que les variables de contagion sont très différente­s. On ne peut pas de la même façon comparer la grippe au coronaviru­s, qui a des propriétés statistiqu­es très différente­s.

Mais des épidémies comme celle du Sras auraient dû nous alerter. On n’en a rien tiré ?

Nous sommes beaucoup plus connectés qu’il y a dix ans, vingt ans. Il y a de grandes chances que cette maladie finisse comme le Sras, mais un petit risque que cela finisse différemme­nt. Et il y a des risques qu’il ne faut pas prendre.

Doit-on s’attendre à une réorganisa­tion complète du monde à l’issue de cette pandémie ?

Il faut rester dans le cadre du cygne noir. Quand le monde est connecté, une ville n’est pas un village, un Etat n’est pas une ville. Or, l’isolement est nécessaire dans certains cas. Plus l’espace est grand, moins il y aura d’espèces au mètre carré, et plus la concentrat­ion absurde de certains risques aura lieu. Le système du confinemen­t est la bonne réponse. Et après la pandémie, il faudra revenir à un système décentrali­sé, où les gens prennent des décisions localement.

Un monde moins globalisé ?

On peut aimer la mondialisa­tion, parce qu’on aime le cosmopolit­isme, par exemple, ou ne pas l’aimer. Moi, je l’aime, mais il faut déterminer d’où les problèmes peuvent venir. Les frontières ouvertes de façon inconditio­nnelle sont dangereuse­s. Un mécanisme de prudence veut qu’on ne puisse pas regarder les effets de cette mondialisa­tion sans regarder aussi ses effets secondaire­s.

Qui sera le gagnant à l’issue de cet épisode ?

Le localisme. En France, vous avez tout centralisé. Alors que, quand vous voyez un

Etat fédéral relativeme­nt incompéten­t, comme aux Etats-Unis, les collectivi­tés locales sont capables de pallier ses incompéten­ces. La tendance mondiale est de revenir au modèle de la cité-Etat. Le coronaviru­s sera peut-être relativeme­nt facile à éradiquer, mais la prochaine pandémie sera peut-être plus grave.

«Si vous ne paniquez pas alors que vous auriez dû, vous êtes mort.»

«Il va falloir revenir à un système décentrali­sé. »

L’Etat n’est pas un niveau efficace ?

Le localisme distribue les décisions et les risques. L’Etat central doit être un coordinate­ur, pas un décideur.

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Le système centralisé français n’est, pour le philosophe, pas performant.
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