L’absence de public pénalise les équipes qui reçoivent
Le huis clos réussit beaucoup mieux aux équipes qui jouent à l’extérieur
Le match à domicile – et par extension à l’extérieur – existe-t-il encore ? C’est la question que se posent les observateurs depuis la reprise du football à huis clos, un peu partout en Europe. Directeur des investissements de la banque Nordea et fan de foot, Robert Naess a noté un bouleversement des tendances habituelles : d’après ses calculs, les 56 matchs disputés en Bundesliga depuis la mi-mai n’ont débouché que sur 13 victoires à domicile et deux fois plus de victoires des visiteurs. Une tendance inédite et quasi diamétralement opposée à celle observée sur vingt ans. «Cela peut être psychologique. Pour les hôtes, c’est un peu triste parce qu’ils sont habitués à jouer devant leur public qui les stimule. »
Triste et source de distraction, selon Sergio Conceiçao. L’ancien entraîneur du FC Nantes, désormais sur le banc du FC Porto, attribue certaines «erreurs de concentration » à l’absence de supporteurs. Une hypothèse «à vérifier» pour Fabrice Dosseville, professeur en psychologie sociale du sport à l’université de Caen : «Il y a une sorte de stress autour des matchs. Le public participe à une forme de vigilance par ses réactions.
Il n’est pas seulement là pour encourager, il met aussi la pression. » Sur les siens, donc, mais aussi sur l’adversaire. C’est encore plus vrai quand le joueur évolue dans un grand club. Habitué aux chaudes ambiances de Lisbonne et Porto, Yohan Tavares (Tondela) a déjà pu jouer à huis clos contre Benfica et le Sporting et note un gros changement depuis la reprise. «Quand tu perds la balle au milieu de terrain contre ces grosses équipes, d’habitude tu sens la pression des supporteurs adverses qui poussent, tu sens des ondes, je ne sais pas trop comment le décrire. Et ça, on ne l’a pas ressenti contre Benfica à huis clos.» Tondela a finalement pu repartir du Estadio da Luz avec le point du nul (0-0) sans succomber au traditionnel enfer du dernier quart d’heure. L’arbitre aussi doit être plus tranquille et partial sans ces supporteurs qui l’accablent de tous les maux (mots) à chaque coup de sifflet contre l’équipe locale. «A haut niveau, l’arbitre est professionnel et je considère qu’il reste neutre du début à la fin, analyse Fabrice
Dosseville. Mais quelques travaux ont montré dans des situations particulières que l’arbitre peut tenir inconsciemment compte du public. Ça peut aussi impacter le joueur qui, parfois, se force à protester sous l’effet du mécontentement de la foule.»
Pour Robert Naess, les joueurs visiteurs se nourrissent des avantages dont sont privées les formations évoluant à domicile. « Ils bénéficient d’un surcroît d’énergie parce qu’ils voient leurs adversaires privés de ces atouts.» Le professeur d’université abonde. « Les joueurs qui jouent à l’extérieur se disent qu’ils jouent sur terrain neutre et y voient là une opportunité. »
Une fois le constat posé, que reste-t-il de l’équité sportive ? Fabrice Dosseville ouvre une brèche pour conclure. «Des lors qu’on change un facteur et qu’il modifie les résultats, est-ce que c’est le même championnat ? Est-ce qu’on aurait les mêmes résultats à la fin et les mêmes classements? C’est le même football, mais ça modifie les joueurs.»
« Le public n’est pas seulement là pour encourager, il met aussi la pression. »
Fabrice Dosseville, professeur en psychologie sociale