La mémoire dans l’étau
Ces dernières années, la capacité d’attention humaine s’affaiblit. Un phénomène qui entraîne des aménagements dans l’univers culturel.
Bientôt, l’humain ne pourra plus rivaliser avec le poisson rouge, tellement sa capacité d’attention se dégrade. Début décembre, un communiqué de Samsung, qui présentait les conclusions d’une étude commandée à The Future Laboratory, soulignait la chute de notre capacité d’attention, passant de douze à huit secondes depuis l’an 2000. Egale à celle de notre ami à branchies, comme le révélait en 2019 Bruno Patino, dans La Civilisation du poisson rouge (Grasset) : «D’ici la fin de la décennie, on peut s’attendre à ce que la durée maximale d’un morceau de musique soit en moyenne de deux minutes.»
Des aptitudes réduites à néant
De nombreuses plateformes culturelles tentent de s’adapter, comme l’application Rocambole, qui se présente comme le Netflix des livres et qui propose de lire des contenus littéraires de cinq minutes. Mais, à force de pousser cette logique, le risque n’est-il pas de réduire nos aptitudes à néant ? Car c’est un peu le poisson qui se mord les nageoires. Si l’offre numérique (séries, musique…) a accéléré nos «soucis» de concentration, elle doit maintenant s’adapter à cette dernière, au risque d’accentuer le problème. « Cette surabondance fait que, psychologiquement, on a toujours l’impression de ne pas être là où les choses se passent», note la professeure des universités Marie Després-Lonnet, spécialiste de la médiation des savoirs dans les « environnements numériques ». Et la tendance pourrait se creuser (lire l’encadré).
« Dans cinquante ans, on risque de devenir une société complètement dépressive parce qu’elle s’est coupée de la possibilité de satisfactions plus profondes», s’alarme Jean-Philippe Lachaux, auteur de La Magie de la concentration (Odile Jacob). N’oublions pas que la culture invite, normalement, à réfléchir sur le monde, à se poser des questions et, surtout, à ressentir des émotions.
Pour s’en sortir, on peut espérer un écoeurement des utilisateurs à force de se goinfrer d’oeuvres formatées. L’humanité doit accepter sa condition d’être mortelle : elle ne pourra jamais tout voir.