Priorités adroites
Face à la non-utilisation de doses allouées, certains réclament une vaccination ouverte à tous. Une idée louable, mais qui pourrait nuire aux plus fragiles, mieux protégés par le système actuel.
Samedi, un centre de vaccination à Nice a dû fermer faute de volontaires, symbole de la sous-utilisation du vaccin AstraZeneca en France. Selon les données de Santé publique France, seules 74 % des doses livrées ont été utilisées dans le pays. Aussi de plus en plus de personnes non éligibles réclament une vaccination ouverte à tous.
«Il faut prioriser les personnes susceptibles de faire des formes graves. »
Laurent Chambaud, directeur de l’EHESP
L’intention peut sembler plaisante, mais la réalité est différente. Du moins tant que les doses sont limitées, ce qui devrait rester une constante jusqu’à cet été, même si l’Agence européenne du médicament a donné son feu vert au vaccin Janssen, qui devrait être le quatrième vaccin disponible en France. Dans ces conditions, «il faut prioriser les personnes susceptibles de faire des formes graves, estime Laurent Chambaud, directeur de l’Ecole des hautes études en santé publique [EHESP]. On parle d’une question de vie ou de mort. »
Une vaccination ouverte à tous serait d’autant plus défavorable aux personnes fragiles que ces dernières seraient désavantagées. Les personnes en bonne santé et jeunes sont plus mobiles, donc susceptibles d’avoir accès à plus de centres de vaccination. Par ailleurs, elles ont un meilleur usage du numérique. « Si on ouvre à tous, il est probable que les personnes pour qui le vaccin serait le plus bénéfique se fassent doubler par des jeunes moins prioritaires, appuie Laurent Chambaud. Il y aurait une injustice d’accès à la vaccination. » Sans compter l’engorgement qu’une vaccination pour tout le monde provoquerait. Pour le moment, la vaccination est ouverte à tous les plus de 55 ans, soit un peu plus de 16 millions de personnes en France. L’ouvrir à toute la population de plus de 20 ans rajouterait 35 millions de potentiels volontaires. « On retrouverait des scénarios comme avec les tests au début, avec des files de 400 m et une saturation », estime le Dr Jérôme Marty.
En raison d’un nombre de doses limité, Laurent Chambaud note aussi que la vaccination en partie des jeunes n’aurait pas d’effet notable sur l’épidémie : « Le virus circulerait encore beaucoup, et vu que les personnes fragiles ne seraient pas toutes vaccinées, il continuerait à saturer les hôpitaux et causer des morts.» Autrement dit, avec des doses limitées, on est plus efficace en insistant sur les personnes fragiles.