Le 47.1, « détournement de procédure » ou procédure « habituelle » ?
La colère a, une troisième fois, grondé, dans les rues, mais aussi à l’Assemblée nationale, mardi, alors que le gouvernement tente de faire adopter sa réforme des retraites. L’exécutif a choisi de recourir à la loi rectificative du budget de la Sécurité sociale (PLFSSR) pour faire passer la réforme.
Avec cette décision, il réduit le débat parlementaire. En effet, l’article 47.1 de la Constitution force le Parlement à se prononcer dans un délai de cinquante jours : d’abord vingt jours à l’Assemblée nationale, puis quinze au Sénat et enfin quinze pour qu’une commission paritaire parvienne à un accord. Si les élus ne se sont pas prononcés dans le temps imparti, le gouvernement peut faire passer la réforme par ordonnance. « L’article 47.1 ne peut être utilisé que pour les lois de finance et de financements de la Sécurité sociale de l’année, explique Dominique Rousseau. Il prévoit un délai d’une durée limitée afin que ces lois soient adoptées avant le 31 décembre. » Pour ce professeur de droit constitutionnel français à Paris-1 Panthéon-Sorbonne, il s’agit d’« un détournement de procédure », car les « lois de finance rectificatives n’ont aucune urgence à être adoptées ». Le bien-fondé du calendrier très restreint imposé par l’exécutif pourrait donc être remis en question. « Que la réforme des retraites soit adoptée en février, mars ou juin ne changerait rien. Il n’y a pas d’urgence », observe Dominique Rousseau.
L’ombre du 49.3
Repousser l’âge de départ à la retraite en début ou en fin d’année aurait en effet peu d’impact sur le budget de l’État à court terme. Jusqu’ici, « les différentes lois qui ont réformé la retraite, en 2010, 2013 ou même en 2019, étaient des lois ordinaires », rappelle le spécialiste du droit constitutionnel, qui estime que la question de « l’atteinte à la sincérité du débat parlementaire » pourrait se poser devant le Conseil constitutionnel. « On risque d’avoir une réforme des retraites qui n’a pas été votée par l’Assemblée nationale ni par le Sénat, et qui passera grâce au 49.3 », explique-t-il.Par conséquent, « l’ensemble de la réforme pourrait être censuré par le Conseil constitutionnel au motif que la méthode par laquelle elle a été adoptée n’est pas conforme », prévient Dominique Rousseau. Il estime, enfin, qu’il existe un « vrai risque d’inconstitutionnalité » pour cette réforme.