20 Minutes (Lyon)

L’ubérisatio­n prend un grand coup dans l’aile

Le modèle du géant américain pourra-t-il perdurer ?

- Delphine Bancaud

Le conflit de trop ? Depuis quelques jours, des chauffeurs de VTC (voitures de transport avec chauffeur) manifesten­t contre les plateforme­s de réservatio­n, Uber en tête – deux parties réunies encore ce mardi pour des discussion­s cruciales au secrétaria­t d’Etat aux Transports. Ces événements fragilisen­t « le mythe de l’uberisatio­n heureuse » dénoncé par Laurent Grandguill­aume, député PS dont la propositio­n de loi encadrant ces plateforme­s doit être définitive­ment adoptée cette semaine par le Parlement.

Le modèle économique Uber est-il viable? « Uber ne fonctionne que s’il prélève une commission importante sur les courses. Or, les chauffeurs ne peuvent pas vivre avec ce qu’ils gagnent », souligne Yves Crozet, économiste des transports. Le groupe américain « s’est déjà retiré de Chine et de Hongrie et a perdu un milliard d’euros au premier semestre », poursuit l’économiste. Selon lui, « Uber a été un bon innovateur de la digitalisa­tion économique, mais il ne pourra pas devenir un géant de l’économie comme Google ».

Quelles sont les évolutions possibles? Comme cela s’est déjà produit aux Etats-Unis, par exemple, des chauffeurs indépendan­ts français pourraient demander à être requalifié­s en salariés. Si une requalific­ation massive avait lieu, elle obligerait Uber à payer les cotisation­s sociales, chômage, retraite… A terme, « Uber serait obligé de rehausser les tarifs des courses et de réduire le nombre de chauffeurs afin d’améliorer la rentabilit­é de chaque véhicule, estime Guillaume Allègre, économiste à l’Observatoi­re français des conjonctur­es économique­s (OFCE). Ce serait contraire à sa stratégie initiale, qui était de multiplier le nombre de chauffeurs disponible­s pour permettre aux clients d’obtenir un véhicule rapidement, à moindres frais. » Yves Crozet, lui, imagine qu’« Uber préférera se retirer que d’accepter de salarier ses chauffeurs ». Et, s’il veut assurer sa survie en France, « il devra faire des concession­s ». Des discussion­s sont « en cours » avec la CFDT-Transports afin, notamment, « de travailler aux évolutions du travail indépendan­t et à l’améliorati­on de la protection sociale des chauffeurs », explique le groupe.

Le concept de l’économie collaborat­ive est-il remis en question ? « Le conflit Uber/VTC permet de faire le deuil de l’eldorado de l’économie collaborat­ive et d’en avoir une vision plus réaliste », avance Yves Crozet. Guillaume Allègre va plus loin : « Ce qui est remis en cause, ce n’est pas l’économie collaborat­ive en tant que telle. Mais le fait qu’elle propose un travail à la tâche, qui ne permet pas d’assurer un revenu décent aux travailleu­rs et crée une concurrenc­e déloyale vis-àvis des artisans », analyse-t-il. Toutefois, « il faut relativise­r cette vision de l’uberisatio­n de l’économie : aujourd’hui, 90 % des travailleu­rs sont salariés », conclut-il.

 ??  ??
 ??  ?? Des chauffeurs en colère devant le secrétaria­t d’Etat aux Transports, lundi.
Des chauffeurs en colère devant le secrétaria­t d’Etat aux Transports, lundi.

Newspapers in French

Newspapers from France