20 Minutes (Lyon)

« Vingt-cinq évêques ont été alertés d’abus sexuels, mais n’ont pas saisi la justice»

La journalist­e a enquêté avec deux confrères sur les affaires de pédophilie au sein de l’Eglise catholique

- Propos recueillis par Elisa Frisullo, à Lyon

En janvier 2016, l’affaire Bernard Preynat, du nom de ce curé mis en examen pour des agressions sexuelles commises sur des scouts il y a vingt-cinq ans, éclatait, plongeant le diocèse de Lyon (Rhône), et derrière lui l’Eglise, dans une tempête sans précédent. Trois journalist­es ont, depuis, enquêté pour Médiapart sur les affaires de pédophilie au sein de l’Eglise. Dans Eglise, la mécanique du silence, qui sort mercredi, Daphné Gastaldi et ses collègues livrent le résultat de leurs recherches. Elle en donne un aperçu à 20 Minutes.

Pourquoi l’affaire Preynat a-t-elle pris tant d’ampleur ?

L’affaire Preynat n’était que la partie émergée de l’iceberg. Ce curé a toujours dit qu’il avait des problèmes. Les quatre cardinaux qui se sont succédé le savaient. Très vite, on s’est rendu compte qu’il y avait d’autres cas, connus de la hiérarchie, mais qui n’ont pas été dénoncés à la justice. Le plus effarant, pour nous, a été de constater que c’était une pratique généralisé­e, qu’il y avait dans l’Eglise une véritable mécanique du silence. Dans notre ouvrage, on parle de l’affaire Barbarin [l’archevêque de Lyon un temps visé par une enquête préliminai­re pour, entre autres, nondénonci­ation de crime], mais pas seulement. Nous avons découvert que 25 évêques ont été informés d’abus sexuels, mais n’ont pas formelleme­nt saisi la justice. Cinq d’entre eux sont toujours en fonction.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?

Nous avons été marqués par la facilité avec laquelle les prêtres pédophiles auxquels nous donnons la parole dans le livre ont avoué, comme s’il s’agissait de discussion­s de comptoir. C’est une sorte d’appel au secours. On se dit que, s’ils nous en ont parlé si facilement, leur hiérarchie était forcément au courant. Nous avons également été surpris par certains prêtres qui nous ont aidés dans notre enquête. Il s’agit de lanceurs d’alerte, nous les avons baptisés « le maquis de l’Eglise ». Ils ont été des boussoles, car ils sont persuadés que le regard extérieur des journalist­es peut faire avancer les choses dans l’institutio­n. Mais ils ont été très peu nombreux, la majorité des prêtres ont un immense respect de la hiérarchie.

Y aura-t-il, selon vous, un avant et un après l’affaire Preynat ?

Sans les membres de La Parole libérée [le collectif réunissant les victimes présumées du père Preynat], il n’y aurait pas eu d’affaire Barbarin. Ils ont fait un travail de titan. Ils n’ont jamais été là pour se plaindre, mais pour faire changer la société et ils ont l’intelligen­ce d’ouvrir le débat, notamment sur la prescripti­on (lire l’encadré). L’institutio­n, elle, a assuré qu’en matière de lutte contre la pédophilie, les choses ont changé depuis l’affaire Pican [évêque qui, en 2000, a couvert les agissement­s d’un curé pédophile du Calvados]. Mais cette mécanique du silence a bel et bien continué. Il y a encore des prêtres qui sont remis en poste dans une paroisse quelques années après leur condamnati­on. Peut-être que 2016 sera une année charnière pour l’Eglise. Mais il faut rester vigilant. Des révélation­s à retrouver aussi, ce mardi, sur France 2, dans « Cash Investigat­ion ».

« Nous avons découvert que 25 prêtres ont été informés d’abus sexuels, mais n’ont pas saisi la justice. »

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L’ouvrage sort un an après une affaire qui a éclaboussé le diocèse de Lyon.

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