20 Minutes (Lyon)

Intersexué, il poursuit les médecins qui l’ont opéré pour faire de lui un homme

Camille* attaque les médecins qui l’ont opéré pour faire de lui un homme, une première

- Vincent Vantighem

Pour le chirurgien, cela n’était qu’un « simple problème de tuyauterie ». Pour Camille*, le début des souffrance­s. Selon nos informatio­ns, la justice instruit depuis plus d’un an la plainte de cette personne intersexué­e pour « violences volontaire­s sur mineur ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ». Une première en France qui pourrait conduire à un procès d’assises. Né en 1979 avec des caractères sexuels féminins et masculins à la fois, Camille reproche à quatre médecins et deux hôpitaux de lui avoir fait subir, durant l’enfance, sept interventi­ons chirurgica­les afin de le faire « devenir » un homme. Sans le consenteme­nt éclairé de ses parents. « Mon intersexua­tion ne me mettait pas en danger de mort. Mais ça, on ne l’a jamais expliqué à mes parents, déplore Camille. Pour les médecins, il fallait forcément me faire entrer dans une case. »

Ils ont donc opté pour l’identité masculine. Celle dont Camille était le plus proche. Pectoraux gonflés et barbe de quelques jours soigneusem­ent entretenue, cet infirmier de 38 ans l’assume désormais pleinement. Mais il souffre toujours des conséquenc­es de ces opérations. « J’en viens à calculer tout ce que je bois parce qu’à chaque fois que je dois aller aux toilettes, j’ai l’impression de pisser des lames de rasoir, avoue-t-il. Le sexe, c’est pareil. Je prends du plaisir tout en ayant extrêmemen­t mal ! » Pourrait-il seulement en prendre si les médecins ne l’avaient pas opéré ? « Impossible de savoir ce que ma vie serait devenue sans les interventi­ons, rétorque-t-il. Le plus violent, c’est qu’ils ont pris la décision. Mais c’est à moi d’en payer le prix. » Il a ainsi dû assumer, dès la classe de CE1, les premiers signes d’une puberté rendue précoce par le traitement hormonal. Il a dû répondre, à 12 ans, à un médecin qui lui demandait, devant ses parents, s’il « band[ait] enfin droit ». Et surtout personne ne peut lui dire, encore aujourd’hui, s’il risque de transmettr­e le « mal » dont il souffre aux enfants qu’il désire. Car la douleur de Camille est indéniable. Tout comme la dimension militante de sa démarche. « J’ai attendu d’avoir 36 ans pour comprendre que j’avais été mutilé, assure-t-il. Je veux épargner ça aux autres. Il est temps d’arrêter d’opérer les enfants intersexué­s. Il est temps de dire aux médecins qu’ils sont hors-la-loi ! » C’est à la justice d’en décider dorénavant. Déposée à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) en 2016, sa plainte a entraîné l’ouverture d’une informatio­n judiciaire. Selon nos informatio­ns, la juge chargée du dossier devrait ordonner prochainem­ent « une expertise médicale pointue » de la situation de Camille. « L’idée est ensuite d’entendre tous les personnels médicaux, de saisir les dossiers et d’organiser des confrontat­ions, confie le parquet de ClermontFe­rrand. C’est un dossier très complexe. S’il aboutit à un non-lieu, celui-ci sera sans doute contesté jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme. Sinon, cela se terminera par le renvoi de plusieurs praticiens devant une cour d’assises... » Camille n’attend rien d’autre. Après avoir pleuré lors de son audition dans le bureau de la juge, il a fini par assurer être « suffisamme­nt serein » dans sa vie actuelle pour « aller au bout des démarches. »

* Le prénom a été changé.

« A chaque fois, j’ai l’impression de pisser des lames de rasoir... »

Camille, le plaignant

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« J’ai attendu d’avoir 36 ans pour comprendre que j’avais été mutilé », assure Camille.

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