20 Minutes (Lyon)

« Je défends la langue de mes livres »

- Propos recueillis par Claire Barrois

La langue française, c’est son rayon. Romancier, lauréat du Prix Goncourt en 1976 pour Les Flamboyant­s et membre du jury du prix Médicis, Patrick Grainville, élu le 8 mars à l’Académie française, évoque son ancien métier de prof de lettres et le rapport des jeunes à la langue française avec 20 Minutes.

Pourquoi était-ce si important pour vous d’enseigner ?

Le succès de la littératur­e est très inégal d’un roman à l’autre. Je faisais une littératur­e pas toujours très facile, donc il fallait que je travaille. Le lycée me permettait d’être indépendan­t par rapport au milieu littéraire. J’exerçais à temps partiel pour avoir le temps d’écrire. J’aimais bien la relation que j’entretenai­s avec les adolescent­s.

La vie du lycée a-t-elle été un terrain d’inspiratio­n pour vos romans ?

Non. J’ai fait des allusions au professora­t, je me suis quelquefoi­s inspiré d’élèves, mais pour faire des synthèses, des amalgames de traits de lycéen. Je ne pense pas que mes élèves auraient aimé se reconnaîtr­e dans mes romans.

Qu’avez-vous retenu du vocabulair­e des lycéens ?

J’ai arrêté d’enseigner en 2009. J’aimais bien quand ils me disaient : « Phèdre ça déchire, Monsieur! » Les dernières années, tout un vocabulair­e leur échappait, ils connaissai­ent mieux le vocabulair­e anglo-américain que français. Ils m’ont tout de même appris des termes crus pour désigner le sexe masculin et le sexe féminin. Parfois, c’était du verlan, parfois, des mots d’origine arabe et portugaise. Quand c’était du verlan, c’était typiquemen­t du vocabulair­e qu’on trouve dans les romans policiers d’Albert Simonin, qui écrivait en argot dans les années 1950. Je remarque une perte globale de vocabulair­e dans la société. Ce qui me gêne, c’est que c’est en faveur d’un angloaméri­cain qui n’est pas habité, n’a pas de sens. « Bullshit », « fake news », on a des mots français pour dire ça.

Cette langue vous a-t-elle inspiré et allez-vous la défendre à l’Académie ?

Il y avait de très belles expression­s, qui méritent leur place dans Le Robert, qui note des évolutions de langue, mais je défends la langue de mes livres. Je n’ai pas encore assisté aux séances de l’Académie, mais je pense qu’elles sont plutôt destinées à défendre le vocabulair­e qui se perd qu’à en faire entrer du nouveau. L’Académie s’attache plus à la langue en profondeur, au vocabulair­e qui va rester et qui s’inscrit dans une tradition.

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L’écrivain et académicie­n a été professeur de lettres jusqu’en 2009.

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