« Je regarde le passé avec tendresse »
A l’aube de la quarantaine, le rappeur joue davantage qu’avant sur le registre de la légèreté et de la nostalgie dans son nouvel album « Polaroid Experience ».
Il n’y a pas que le bon vin et le saintnectaire qui se bonifient avec le temps. Ce vendredi, Youssoupha sort un nouvel album, Polaroid Experience. A 39 ans, il porte un regard tendre et mélancolique sur les années qui passent. Un album aux notes jazzy et hip-hop, tantôt léger, tantôt grave, porté par sa verve sans égale.
Vous vous révélez nostalgique dans
Polaroid Experience. C’est un nouveau Youssoupha qu’on entend ?
Ce n’est pas une nouvelle personnalité parce que c’est bien moi, mais une nouvelle manière de faire des chansons. Avant, l’écriture était au centre de ma musique. Maintenant, la musicalité a repris le flambeau et j’organise l’écriture autour d’elle. Je fais beaucoup plus confiance à la spontanéité, j’écoute où la chanson va.
Pourquoi ce changement ?
L’usure de l’ancienne méthode. Les gens me disaient que ma force, c’était l’écriture. J’étais très content, mais j’étais entré dans une espèce de mécanique. Là, j’avais besoin de palpitations et de mise en danger. J’ai longtemps eu peur de rester un artiste au succès d’estime, et le succès commercial des deux derniers albums m’a enlevé cette pression. Ce que je devais réussir, je l’ai réussi. Maintenant, il ne me reste plus que
la musique.
Entre les vieilles photos utilisées pour la promo et la sortie sur cassette audio, Polaroid Experience
ressemble à un projet vintage…
C’est une nostalgie naïve. Pourquoi un Polaroid ? Quand on était petit, on ne s’y prenait pas à deux fois pour faire une photo. Il y avait une spontanéité et une certaine naïveté. Pour les cassettes, je crois que je l’ai fait pour me moquer des plus jeunes. C’est aussi amusant de sortir des vieilles photos et de se moquer de nos têtes, de nos sapes, du mauvais cadrage. Mais l’album n’est pas passéiste, je regarde avec tendresse le passé.
Vous allez bientôt avoir 40 ans. Il n’y a pas une petite crise de la quarantaine derrière tout ça ?
Quand j’ai commencé à travailler sur cet album, j’avais 38 ans. Je ne sais pas pourquoi, j’écrivais déjà en me disant que j’avais 40 ans. Pour passer à autre chose… J’aime bien me moquer du côté ringard de la perception qu’on peut avoir d’un rappeur de 40 ans. Dans le morceau «Devenir vieux», je dis que «je suis à un charbon de chicha de devenir ringard» parce que, quand j’accompagne des artistes de mon label dans des chichas, je vois que ce qu’ils écoutent ce n’est pas du Youssoupha ! My hype, elle tient à un charbon de chicha ! Mieux vaut l’assumer pour défendre un nouveau rap de quadragénaire, plutôt que de commencer à jouer le jeunisme.
Votre rap s’est-il assagi ?
Je me prenais beaucoup plus au sérieux quand j’étais plus jeune. Dans mes deux premiers albums, il y avait de la gravité, des certitudes, politiques et militantes. J’ai toujours des convictions, mais beaucoup moins de certitudes.
Selon vous, à quoi cela est-il dû ?
Déjà, je n’ai pas changé le monde ! Quand j’ai commencé à rapper, je me disais que je changerais le monde dans cinq ans. Mais non, il ne change pas comme ça. J’essaie d’apprendre à me changer. Par exemple, j’avais plein de certitudes sur la paternité. En réalité, j’ai une fille et elle me mène par le bout du nez. Je me retrouve parfois à l’engueuler, elle pleure. Alors, je vais dans la salle de bains parce que je n’ai pas envie de perdre la face devant elle, et ma femme me retrouve presque au bord des larmes ! Je ne renonce pas à changer le monde, mais il faut déjà que je réussisse ma vie d’homme, de père et d’artiste.
«La musicalité a repris le flambeau. J’organise l’écriture autour d’elle.»
«J’ai toujours des convictions, mais beaucoup moins de certitudes.»